Opéra | Lapied, Martine; Lhâa, Alexandre

Opéra 1121 – 1987, 1994, 1997 – et Gizeh : représenté dès 1912 au pied des pyramides, il y fut mis en scène à six reprises entre 1998 et 2014, aux exceptions notables de 2001 – à la suite des attentats du 11 Septembre – et d’une interruption de huit ans, de 2003 à 2010. Ces productions, dont le coût dépasse largement les sommes générées, constituent une véritable vitrine promotionnelle pour le pays. La révolte des troupes paramilitaires en février 1986 avait nui à l’industrie tou- ristique, vitale pour l’économie égyptienne. La mise en scène de 1987, devant les ruines du temple de Louxor, s’inscrivait dans le cadre d’une tentative de réhabi- litation de l’image du pays. L’initiative privée avait reçu le soutien enthousiaste des autorités. Le spectacle, qui réunissait une prestigieuse distribution, attira 5 000 spectateurs au premier rang desquels des personnalités du gotha européen. La production d’octobre 1997 s’inscrivait dans le cadre des célébrations du 125 e anniversaire de la création d’ Aida et des soixante-quinze ans de la décou- verte du tombeau de Toutankhamon. Le spectacle, qui bénéficia d’une promo- tion planétaire, revêtait un caractère national. Placé sous le patronage de l’épouse du président Moubarak, il fut supervisé par un comité interministériel. On décida de faire de la mise en scène d’ Aida à Louxor un événement annuel. Cependant, le 17 novembre, un attentat y causa la mort de cinquante-huit tou- ristes, provoquant un effondrement de l’industrie touristique. Ses auteurs envi- sageaient initialement de frapper lors d’une des représentations. Aussi fut-il décidé que l’opéra serait désormais donné au Caire. Toutefois, la répression anti- terroriste permit une reprise rapide du tourisme et, dès 1998, il fut de nouveau représenté en extérieur, cette fois devant les pyramides. La mise en scène d’ Aida constituait un message adressé aux étrangers : sa reprise annuelle au pied d’un des principaux sites touristiques mondiaux entendait signifier que l’Égypte était un pays stable et sûr. Par ailleurs, derrière l’enjeu économico-touristique, pointe une dimension identitaire. Si Edward Said affirmait qu’ Aida servait, pour la culture européenne, à confirmer que l’Orient était « un lieu par essence lointain et archaïque où les Européens pouv[ai]ent monter certaines démonstrations de force », l’Égypte s’est toutefois approprié cette œuvre au point d’en faire un marqueur identitaire. La marche triomphale a rejoint l’hymne égyptien dans certaines cérémonies proto- colaires. En 1987, ce dernier fut interprété avant le spectacle alors qu’un drapeau spécialement créé pour Aida avait été hissé à côté du drapeau national sur chacun des lampadaires de la ville de Louxor. Le 6 août 2015, c’est la marche triomphale qui fut jouée lors de l’inauguration de la nouvelle voie du canal de Suez. L’opéra s’inscrit en outre dans un processus d’exaltation du passé égyptien visant à sou- ligner la grandeur du pays. À l’occasion de la première représentation thébaine, Suzanne Moubarak avait ainsi affirmé que « la glorieuse recréation de l’histoire de l’Égypte est très chère aux Égyptiens » ( New York Times , 4 mai 1987). Cet

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