Nettoyage ethnique | Cattaruzza, Amaël; Sintès, Pierre

Nettoyage ethnique 1097 « leurs », ce qui n’allait pas sans poser de graves problèmes identitaires, en par- ticulier à des individus issus de couples mixtes, ou à ceux qui s’identifiaient sur d’autres critères que celui de l’appartenance ethnique. De la même manière, la déclaration d’indépendance du Kosovo (référendum organisé clandestinement en 1991 par les Albanais, guerre du Kosovo en 1999 et indépendance unilatérale déclarée depuis février 2008) était rejetée à l’échelle de la Serbie comme à celle des régions serbes du Kosovo. Apparaît donc un jeu de légitimités gigognes dans les relations entre majorités et minorités : ce qui peut paraître légitime à l’échelle nationale semble illégitime à certains échelons régionaux ou locaux. En changeant d’échelle, on change de majorité et de mino- rités, on change de légitimité, les questions étant de savoir quels sont les espaces et les échelles légitimes, qui est en droit et/ou en mesure de fixer cette légitimité. Aussi, dans le flou territorial qui a suivi l’éclatement de la Yougoslavie, on comprend mieux la logique politique du « nettoyage ethnique », procédé devenu emblématique de ces conflits : rendre une zone homogène du point de vue eth- nique dans une région marquée par sa grande mixité, et par la concurrence des partis nationalistes, revenait à faire disparaître la possibilité de contestations poli- tiques et à consolider le pouvoir des nationalistes sur le territoire. Le nettoyage ethnique représente donc une nouvelle forme de conquête territoriale dans la « guerre au sein des populations », où le déplacement des minorités indésirables devient le but des conflits. Relire les conflits méditerranéens au prisme du nettoyage ethnique L’émergence du concept de « nettoyage ethnique » à l’occasion des conflits you- goslaves permet, a posteriori , de porter un nouveau regard sur des conflits plus anciens qui ont frappé l’espace méditerranéen. Les mobilités forcées qui semblent relever d’une forme de nettoyage ethnique ont en effet marqué l’histoire du bassin méditerranéen au xx e siècle. Cette période débute ainsi avec l’échange de popu- lation bulgaro-turque organisé dans le cadre de la convention d’Andrinople de 1913 – 48 570 personnes partent du territoire bulgare contre 46 764 quittant la Thrace turque (Ladas, 1932) –, la convention gréco-bulgare de novembre 1919 – départ de 46 000 personnes de Grèce contre 70 000 de Bulgarie – et, surtout, avec le traité de Lausanne de 1923 signé entre la Grèce et la Turquie, lequel cause le déplacement forcé de près de 1,3 million d’individus de Turquie contre 385 000 musulmans, pas systématiquement turcophones, de Grèce (Cattaruzza et Sintès, 2012). Selon Stéphane Rosière, ces traités fondent « une pratique

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