Musulmans | Frégosi, Franck

Musulmans 1061 s’efforcent d’en conjurer les effets dissolvants par la survalorisation du dispositif rituel et le renforcement doctrinal. L’autre alternative consiste en une spiritualisation renforcée de la référence à l’islam, l’affirmation de la primauté d’un islam du for intérieur contre toute tentative de réduction de l’islam à un système de normativité sous-tendue par la seule logique du halal et du haram . Cette spiritualisation de l’islam peut corres- pondre à la voie mystique (soufisme) comme expression plurielle d’une indivi- dualisation du croire au sein d’un groupe électif et émotionnel restreint à partir d’un rattachement interpersonnel à la personne du cheikh. Elle peut également prendre la forme d’une éthicisation de l’islam qui pourrait déboucher sur un islam libéral ou réformé voisin de ce que représente le judaïsme libéral dans le monde juif. Cette démarche s’inscrit dans une logique de développement auto- centré qui a tendance à disqualifier toute extériorisation, toute effusion exces- sive de la religion dans le siècle au profit de la réalisation spirituelle de soi ou du retour à une version éthique et intellectualisée (rationnelle) de la foi islamique. Une autre dynamique promeut une religiosité citoyenne. C’est elle qui est notamment portée par le tissu associatif jeune musulman européen, sous la forme d’une revendication de l’appartenance à l’islam dans un environnement non musulman et religieusement pluraliste conjuguant l’acte de croire et un agir social déterminé (lien entre foi et justice sociale, libération par rapport à la société de consommation, question du sens dans des sociétés sécularisées…). Cette logique, davantage sociocentrée, débouche sur la revendication d’un islam civique pour lequel il ne peut y avoir de conscience islamique déconnectée d’une conscience sociale et donc d’une conscience politique. Le départ de jeunes musulmans européens (issus de familles musulmanes) ou convertis pour les foyers de jihad en Irak et en Syrie, leur enrôlement sous la bannière de l’État islamique au Levant d’une part, et l’implication d’autres dans des attentats meurtriers, notamment en France (janvier et novembre 2015), illustrent également la réalité de phénomènes de radicalisation individuelle au cœur même des communautés musulmanes d’Europe sur fond de marginalité, de frustrations accumulées et de désespérance sociale (Khosrokhavar, 2014). Enfin, l’un des effets induits de la sécularisation de l’islam pourrait être une « sortie de la religion » par l’ethnicisation du référent islamique, celui-ci deve- nant un substitut identitaire (islam nominal), l’équivalent d’un marqueur communautaire que les acteurs sociaux mobiliseraient au gré des circonstances, en fonction d’enjeux locaux ou internationaux indépendamment de toute pra- tique effective. On retrouve dans cette catégorie l’islam virtuel de certains jeunes de banlieue, qui s’expriment sur le mode rhétorique et par l’adoption d’une ges- tuelle codée (main sur le cœur) et, épisodiquement, selon un mode vindicatif (islam provocateur), sous la forme de slogans se référant à l’Irak, à la Palestine

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