Musulmans | Frégosi, Franck

Musulmans 1059 Les années 1960, en France, se caractérisent principalement par un islam dit silencieux (plutôt masculin), au sens où il ne se montre pas, et ne sort pas de l’espace clos et privé des foyers de travailleurs immigrés, et se vit sur un mode transitoire (islam, religion transplantée) dans la perspective d’un retour dans le pays d’origine. À partir de la moitié des années 1970, et de la mise en place des politiques de regroupement familial, la logique d’implantation, de séden- tarisation prend petit à petit le pas sur celle du déplacement. L’islam se vit sur un mode plus familial dans l’intimité domestique. C’est à partir du début des années 1980 que l’on assiste à l’émergence de l’islam en tant que réalité reli- gieuse collective. L’islam sort du cercle des familles ; des groupes de musulmans commencent à demander des salles de prière sur leurs lieux de travail et de rési- dence ; un tissu associatif islamique se structure, soutenu financièrement par l’arrivée de capitaux en provenance du Golfe. C’est durant ces années que ver- ront successivement le jour quelques-unes des grandes fédérations islamiques de France : en 1983, l’Union des organisations islamiques en France, devenue depuis Union des organisations islamiques de France ( uoif ), proche des Frères musulmans et des monarchies du Golfe ; en 1986, c’est au tour de la Fédération nationale des musulmans de France ( fnmf ) de voir le jour, à l’instigation d’un Français converti et avec le soutien de la Ligue islamique mondiale ( lim ). La décennie suivante sera nettement plus marquée par une visibilisation croissante de l’islam qui, chez les éléments les plus jeunes, prend parfois la forme d’une réislamisation. Celle-ci se manifeste par exemple à travers le développement d’une gestuelle, d’un parler et d’usages vestimentaires réputés islamiques (hijab, niqâb…) , et par l’insistance mise à conjuguer une fidélité scrupuleuse des ensei- gnements religieux conjointement avec la revendication d’une citoyenneté plus active. L’islam devient ainsi en Europe, pour les jeunes générations, un mode privilégié d’affirmation de soi, expression d’une identité à la fois individuelle, fruit d’un croire personnel, et en même temps collective, dans son rapport à la citoyenneté politique et à la collectivité des croyants. Nous sommes aujourd’hui face à une nouvelle étape de l’histoire de la présence musulmane en Europe avec l’émergence progressive d’un islam autochtone européen, en cours d’enracine- ment, qui interpelle directement les États européens et, à travers eux, les diffé- rents modes classiques de régulation du pluralisme religieux. D’un point de vue religieux, les musulmans européens sont à la fois specta- teurs et acteurs de leur propre sécularisation. Si l’islam (massivement sunnite) renvoie pour eux comme partout ailleurs dans le monde à une expérience reli- gieuse, celle-ci est pour le moins hétérogène tant en ce qui concerne les moda- lités diverses de son expression (Frégosi, 2011) que par les nombreux courants et les sensibilités qui se réclament de l’islam. Les clivages idéologiques sont forts dans l’islam européen, même si l’emprunt successif à différents courants

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