Musulmans | Frégosi, Franck

1064 Musulmans de systèmes politiques dans lesquels l’islam, s’il demeurait formellement le ciment religieux commun, ne devait pas moins composer avec d’autres réalités et influences idéologiques, sociales, politiques et culturelles étrangères à l’univers religieux. Le choc de la colonisation devait également accentuer encore plus la tension avec l’univers religieux, impulsant une dynamique de sécularisation forcée de sociétés elles-mêmes travaillées par un mouvement national tiraillé entre des courants scripturaliste (réformisme religieux), constitutionnaliste (libéralisme politique) et populiste (nationalisme arabe). À partir des indépendances, les nouveaux pouvoirs autochtones prirent soin de s’assurer un contrôle large sur l’ensemble des secteurs de la société, dont l’espace religieux, en étatisant la religion musulmane, tout en limitant sa sphère d’influence sociétale au champ du statut personnel et à celui de l’éducation. L’État entendait s’octroyer le monopole en matière de diffusion de la parole religieuse afin de pouvoir, notamment, prendre appui sur elle pour légitimer ses orienta- tions séculières fluctuantes. Ainsi l’islam promu religion d’État devait-il conforter la religion de l’État ! Mais c’était sans compter avec les ruses de l’histoire, les embardées de politiques économiques trop monolithiques et les retours de flamme ; ces régimes, qui avaient totalement fermé l’espace politique à toute forme de contestation, se virent à partir de la décennie 1980 directement contestés depuis l’intérieur du champ religieux qu’ils pensaient avoir verrouillé. L’islam d’État était, dès lors, concurrencé par un islam oppositionnel dont les tenants souvent issus des filières les plus modernes (sciences dures, informa- tique…) entendaient à la fois réaffirmer la centralité du référentiel islamique au détriment d’idéologies séculières ayant contribué à leurs yeux à réduire l’in- fluence sociale de la religion, et rompre avec des élites prédatrices s’étant acca- paré les ressources publiques à leur profit exclusif. Certains des partisans de la solution islamique, après avoir connu des phases de répression systématique les contraignant à la clandestinité, au fur et à mesure de la démocratisation des sociétés intervenues durant la décennie 2000, sont parvenus aux responsabilités. Ils ont dû alors faire preuve de réalisme politique, en amendant leurs programmes, en rognant sur leurs velléités de réislamisation volontariste par le haut de sociétés qui sont, elles-mêmes, devenues plus per- méables à des dynamiques complexes d’individualisation du rapport à la croyance et à la pratique religieuse, et dans lesquelles derrière les recompositions du reli- gieux se dessinent les contours d’une sécularisation implicite (El Ayadi, Rachik et Tozy, 2007). Si, au sud de la Méditerranée, la sécularisation en tant que dynamique sociale est incontestablement en voie de se forger une place au sein de sociétés dont l’islam demeure la religion dominante, au nord, on assiste au phénomène inverse.

RkJQdWJsaXNoZXIy NDM3MTc=