Musique | Stokes, Martin

Musique 1045 existait des modèles récurrents dans la répartition des « rôles » musicaux entre les hommes et les femmes dans la Méditerranée rurale et traditionnelle. Le para- digme « de l’honneur et de la honte » est souvent considéré comme un outil trop imprécis pour étudier l’organisation complexe entre les hommes et les femmes dans la région. Les recherches de Magrini et d’autres spécialistes, fondées sur le travail de Lomax, seront certainement exposées à ce genre de critiques. Mais elles soulignent le rôle important joué par le chant dans le façonnage de l’uni- vers moral des villageois méditerranéens et ont apporté une importante contri- bution à une théorisation plus large de la musique et du genre. Un troisième modèle relatif à la Méditerranée s’est intéressé aux vecteurs culturels de la migration. Dans une étude de la ville de Naples, Iain Chambers a observé, à travers les chansons populaires, l’histoire complexe des migrations et des mouvements de population dans la région méditerranéenne. Refoulée dans l’imaginaire national italien, la culture napolitaine est différente. Si le nationalisme était une façon idéologique de véhiculer la modernité dans les sociétés méditer- ranéennes, la modernité des chants, selon les termes de Chambers, pouvait être décrite comme « poreuse » ou ouverte, en particulier aux influences de la côte nord-africaine toute proche. Chambers a porté un intérêt particulier au rôle de la musique lorsqu’il a exposé aux critiques ces « modernités poreuses ». Les enregis- trements de chants napolitains de Pino Daniele et Nino D’Angelo ces dix dernières années, qui font référence à la musique arabe et incluent des airs arabes, ne sont pas, selon Chambers, des gestes vides vers une hybridité de la musique du monde, rendue conventionnelle. Ils respectent l’héritage métissé de Naples. On peut ajou- ter à cette ville Marseille, Barcelone, Tanger, Oran, Alexandrie, Istanbul, Izmir et Salonique : toutes ces villes méditerranéennes ont des histoires différentes de celles des États-nations dans lesquelles elles sont implantées. Elles constituent toutes un point de convergence dans la circulation des styles de musique populaire dans la région, que ce soit la chanson française, le raï, l’arabesk turque et le rebétiko grec. Le caractère méditerranéen de ces genres musicaux résulte de processus histo- riques fondamentaux, de la circulation banalisée (et quelquefois dénigrée par les élites) des personnes, des instruments et des idées musicales dans une zone cultu- relle relativement limitée. Mais ce « méditerranéisme » est une stratégie souvent adoptée par de nombreux musiciens à la fin du xx e siècle dans le but de se démar- quer de leurs propres sociétés. En Grèce, au Liban, enTurquie et en Égypte, appe- ler « méditerranéenne » une pratique musicale populaire est un travail idéologique important. Les efforts consentis pour associer le flamenco ou la musique populaire grecque, par exemple, avec la musique populaire turque dans les années 1980 ont permis à des musiciens de relier la Turquie moderne à l’Occident plutôt qu’au monde arabe. De plus, le maqâm (musique modale du Moyen-Orient) a façonné le style mélodique et harmonique de la musique populaire dans une grande partie

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