Mozarabes | Bosseman, Gaelle

Mozarabes 1021 minorité chrétienne : Alvare et Euloge de Cordoue, les deux figures de proue de la défense des martyrs, stigmatisent un oubli de la langue latine de plus en plus manifeste dans une société où l’apprentissage de l’arabe séduit les jeunes lettrés et constitue la condition même d’une ascension sociale. L’étude menée par Cyrille Aillet des pratiques d’annotations en arabe dans les manuscrits et des témoignages conservés de la littérature arabo-chrétienne ont mis en lumière que l’arabe avait pris le relais de la langue latine dans les écrits des lettrés chrétiens. Ainsi, le milieu du ix e siècle, loin de marquer la dis- parition des communautés chrétiennes, consacre en réalité « l’acte de naissance des mozarabes », peu à peu intégrés dans la culture hégémonique de l’islam. La période califale marque l’apogée du processus d’arabisation des mozarabes et leur intégration dans une culture d’empire qui se veut universelle. Associés à la politique califale, ils sont couramment employés grâce à leurs compétences lin- guistiques comme traducteurs ou ambassadeurs. L’abbé Samson de Cordoue traduisait, dès le milieu du ix e siècle, la correspondance échangée entre le roi des Francs, Charles le Chauve, et Muhammad I er . Un siècle plus tard, l’évêque Recemundus joue le rôle d’ambassadeur du calife ‘Abd al-Rahmân III auprès d’Otton I er en 955. Après la mort d’al-Mansûr et de son fils, ‘Abd al-Malik al-Muzaffar, al-Andalus est déchirée par des guerres civiles qui aboutissent en 1031 à la chute du cali- fat, remplacé par une trentaine de royaumes indépendants, les taïfas. Privée de la protection du pouvoir central, la minorité chrétienne se réduit et se margina- lise. Devant la progression de la reconquête chrétienne qui s’accélère à la fin du xi e siècle avec la prise de Tolède en 1085 par les Castillans, les rois des taïfas font appel aux Almoravides, dynastie berbère régnant depuis peu sur le Maghreb. Les conséquences de cette prise de pouvoir sur la minorité chrétienne se traduisent par l’amorce d’une politique de répression, marquée par la destruction le 23 mai 1099 de l’église d’Elvira, près de Grenade, et de plusieurs déportations de chrétiens vers le Maghreb. L’hostilité grandissante envers les dhimmis trouve son origine d’une part dans l’idéologie politique unificatrice construite autour de l’islam et des valeurs guerrières du jihad qui soutient la dynastie, et d’autre part dans un contexte marqué par les succès militaires remportés par les chrétiens. La tension culmine avec l’expédition d’Alphonse I er le Batailleur en 1125‑1126 : le roi arrive à traverser avec son armée les territoires andalous pour parvenir jusqu’à Grenade et à y amasser un butin substantiel. L’expédition aurait été motivée par l’appel des chrétiens grenadins à Alphonse I er , l’incitant à conquérir la ville et s’enga- geant à lui prêter main-forte. Le siège, qui est un échec, conduit de nombreux mozarabes à l’émigration pour échapper aux représailles du pouvoir almoravide. Selon le chroniqueur anglo-normand Orderic Vidal, plus de 10 000 d’entre eux reçurent ainsi d’Alphonse I er l’autorisation de le suivre en Aragon. Considérés

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