Morisques | García-Arenal, Mercedes

Morisques 995 Expulsion L’expulsion de tous les morisques des royaumes hispaniques fut la conséquence d’une série de décrets promulgués par Felipe III entre 1609 (Valence) et 1614 (Castille). Les raisons et le moment de cette expulsion font toujours l’objet de débats entre les historiens. L’expulsion fut générale, même si quelques morisques avaient pu prouver qu’ils étaient de bons catholiques. On s’accorde en général à penser qu’environ 300 000 morisques quittèrent la péninsule, en principe et en théorie vers des terres catholiques (puisqu’ils étaient baptisés), en particulier la France et l’Italie. De là, la majeure partie se dirigea vers les terres de l’Empire ottoman et ses régences au Maghreb. Ceux qui s’établirent au Maroc s’intégrèrent à la population des andalusiyun , lesquels avaient immigré ou traversé le détroit de Gibraltar à la fin du Moyen Âge, fuyant l’avancée de la conquête chrétienne. La Tunisie aussi les accueillit, et les autorités ottomanes les protégèrent ; ainsi, elles constituèrent des communautés distinctes et prospères qui, durant prati- quement deux siècles, conservèrent une identité séparée. En Tunisie, ils produisirent une littérature écrite en espagnol, extrêmement intéressante, et obtinrent des autorités turques l’autorisation, pendant les pre- mières années de leur installation dans le pays, d’être éduqués et endoctrinés à l’islam en espagnol. Jusqu’au xviii e siècle, ils gardèrent des caractéristiques qui les identifiaient comme des communautés originaires de la péninsule, notam- ment dans les domaines culturel, architectural, culinaire, etc., dans les lieux où ils habitaient, tels que Grombalia, Bizerte, Ghar el-Melh ou Qalat al-Andalus. Au Maroc, ils s’installèrent principalement sur les côtes et dans l’environnement des sultans, que ce fût dans l’armée ou pour les travaux de la cour. Dans certains lieux, comme à Tétouan, ils essayèrent de constituer des unités autonomes. Le cas le plus significatif est celui de ladite République morisque de Salé, une petite ville presque exclusivement habitée par des morisques et organisée en consejo espagnol, laquelle a essayé d’établir un pacte avec le roi d’Espagne, relatif à la ces- sion de la souveraineté de la Place et l’autorisation de retourner dans la péninsule. Toutes ces raisons font de l’islam morisque un phénomène singulier et pro- fondément intéressant : les morisques furent un groupe islamique complexe, ouvert à la transmission d’idées, d’images et d’émotions religieuses de l’environ- nement chrétien dans lequel ils vivaient. Au centre d’une intense polémique, ils ne pouvaient échapper à la nécessité de se définir eux-mêmes par le biais de l’affrontement et de l’interaction avec le monde qui les entourait. Durant qua- siment deux siècles, ils ont réussi, sur leurs nouvelles terres d’accueil, à résister en entretenant leur identité particulière. Mercedes García-Arenal

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