Morisques | García-Arenal, Mercedes

Morisques 994 comme le pèlerinage à La Mecque). Des pratiques maintenues avec une grande cohésion dans les zones à forte population morisque. L’islam étant interdit depuis 1502, faute d’aide légale ou administrative, ses ins- titutions avaient été dissoutes, ses élites religieuses converties ou exilées, les mos- quées fermées, les livres détruits. On ne pratiquait plus la circoncision, excepté à Valence et, dans une moindre mesure, en Aragon. De même, à l’exception de Valence, la langue s’était perdue, y compris à Grenade où, à partir des années 1560, la conversion au castillan fut quasiment complète. L’Inquisition saisissait systé- matiquement tout écrit, tout livre arabe, ainsi que les petits talismans et écrits curatifs ou préventifs appartenant à une tradition magico-religieuse, calendriers et horoscopes. La langue arabe, parlée et écrite, était particulièrement réprimée comme ferment d’islamisme. Les premières victimes des persécutions étaient les alfaquíes – connaisseurs de la Loi (faqih) –, accusés de « dogmatiser », d’enseigner et de diffuser les principes islamiques ou encore d’encourager les morisques à per- sister dans l’islam. C’était le pire des délits. Les alfaquíes se maintinrent dans les communautés d’Aragon et de Valence où demeurait une certaine cohésion. Leur présence était essentielle, non seulement pour répandre l’enseignement religieux mais aussi pour mettre fin aux conflits, interpréter la Loi et diriger les rituels. Ils signalaient, par exemple, le début du mois du ramadan ainsi que le moment où « se voyait l’étoile » afin de pouvoir rompre le jeûne. Les morisques qui se consa- craient au petit commerce ambulant ou au transport de marchandises profitaient de leur condition pour consulter les alfaquíes sur le lieu même de leur activité. Les sages-femmes également étaient très surveillées, ainsi que les femmes âgées qui préparaient les jeunes mariées ou lavaient la tête des enfants morisques juste après leur baptême. Elles se chargeaient de la cérémonie des fadas au cours de laquelle on imposait à l’enfant son nommusulman, cérémonie très fréquemment enregistrée dans les actes. Elles étaient également chargées d’enseigner aux plus jeunes des prières, des rites, une hygiène de vie et une hygiène alimentaire ; cet enseignement était délivré lorsque l’enfant était considéré comme suffisamment mûr pour ne pas en parler en dehors de la maison. Ces femmes âgées étaient donc, avec les alfaquíes , les principales « dogmatisatrices », celles qui, de maison en maison, veillaient à la conservation des coutumes, un ensemble d’habitudes perçu par les chrétiens comme différent, donc menaçant. L’« affrontement polé- mique » (Cardaillac, 1977) entre morisques et vieux chrétiens incluait les thèmes de l’humour, de l’alimentation, de la langue et du sexe. Les chrétiens étaient obsédés par le comportement extrêmement prolifique attribué aux morisques – qui ne respectaient même pas l’interdiction du mariage « incestueux » entre cousins. Il voyait en cela une stratégie pour s’infiltrer dans la société chrétienne et la détruire. Cette vision était liée aux stéréotypes d’incontinence sexuelle que la polémique religieuse anti-islamique attribuait au prophète de l’islam.

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