Morisques | García-Arenal, Mercedes

Morisques 993 La langue arabe Les morisques écrivaient aussi en arabe. Les fameux Livres de plomb de Sacromonte , de Grenade, écrits à la fin du xvi e siècle, en sont sans doute l’exemple le plus intéres­ sant. Ces textes, qui sont une forgerie morisque, ont été écrits sur des planches de plomb circulaires, dans une calligraphie arabe prétendument ancienne, sans points diacritiques ni voyelles, très anguleuse, semblable à celle utilisée dans les talismans et les écritures magiques. Ils se présentaient comme issus de l’Antiquité chrétienne : un évangile dicté en arabe directement par la Vierge Marie à des disciples arabes venus plus tard, avec saint Jacques, en Espagne où ils fondèrent Grenade et subirent le martyre. Dans ce texte pseudo-chrétien élaboré à partir de sources islamiques, il n’est fait référence à aucun des aspects du christianisme, inacceptables d’un point de vue musulman, notamment le caractère divin du Christ, la Trinité, le culte des images ou la confession orale. Les épisodes qu’il recèle sur la vie de Jésus pro- viennent de la vie de Mahomet, et le vocabulaire et la spiritualité sont clairement islamiques… Ce faux, inventé par des morisques, était destiné à démontrer que l’arabe était une langue chrétienne ou pouvait l’être – qu’il n’y avait donc aucune raison de l’interdire –, que les premiers chrétiens de Grenade avaient été arabes, et qu’ainsi les morisques, détenteurs d’un « certificat de naturalisation », n’étaient pas des envahisseurs qui méritaient d’être expulsés. Du point de vue morisque, le texte, perçu à la fois comme une attaque religieuse contre le christianisme et une manière de maintenir une dissimulation eschatologique (c’est-à-dire, jusqu’à ce qu’arrive la fin des temps), présentait un christianisme épuré, admissible en secret par les adeptes de l’islam. Les auteurs connaissaient la recette pour assurer à ces écrits le succès escompté parmi les autorités chrétiennes de Grenade et espagnoles en général : ils apportaient la « preuve » de la venue de saint Jacques en Espagne, parlaient de l’Immaculée Conception de la Vierge Marie, présentaient des reliques qui conféraient à Grenade une origine sacrée. Leur succès fut retentissant et ils furent considérés authentiques même après avoir fait l’objet d’un anothème par le Vatican, en 1682, un siècle après qu’ils eurent été « découverts ». Inquisition À partir de 1630, les morisques, accusés de « mahométiser », furent l’objet d’une persécution inquisitoriale en tant qu’apostats. Ces procès démontrent qu’une part importante de la population avait conservé, au sein de la structure familiale et communale, ses pratiques islamiques (connaissances, prières, croyances, y compris certains devoirs particulièrement difficiles à observer, au vu des circonstances,

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