Morisques | García-Arenal, Mercedes

Morisques 992 plus, l’ aljamía emprunte des structures syntaxiques, stylistiques, lexicales et sémantiques à l’arabe. Il s’agit d’une langue particulière : la variante islamique de l’espagnol. L’ aljamiada est une littérature de caractère didactique, de thé- matique principalement religieuse et légale, destinée à transmettre et conser- ver les fondements de la Loi et de la croyance islamique, ainsi que des histoires de héros et de prophètes, des narrations épiques remontant aux fondements de l’islam, etc. C’est ce que l’on pourrait appeler l’« histoire sacrée ». Parallèlement à ces thèmes, elle aborde aussi la médecine populaire, la magie, les prophéties, les dictons et les châtiments moraux, ainsi que les « itinéraires », autrement dit les instructions pour fuir d’Espagne. On trouve également des narrations, des pièces de théâtre, de la poésie, appartenant à la littérature hispanique contemporaine et que les morisques, évidemment, appréciaient, unis à la connaissance et l’uti- lisation des œuvres dévotes catholiques. Le recours aux sources chrétiennes est évident, comme on peut le voir dans les deux œuvres les plus importantes de la littérature morisque : Tafsira et Tratado de los dos caminos . La première, Tafsira , littéralement « traité », écrite par Mancebo de Arévalo en aljamía au début du xvi e siècle, est un voyage à la recherche de la connais- sance et de la science, qui entraîne l’auteur à travers les différentes communau- tés morisques espagnoles, dans les années qui ont suivi les décrets de conversion. Il s’agit d’un texte musulman tissé de fils chrétiens, à caractère religieux autant que littéraire. À travers cette œuvre morisque résonnent, à la fois, les principes catholiques de la devotio moderna et les mots de Pétrarque. Lorsque les morisques furent expulsés vers le Nord de l’Afrique, ils cessèrent d’écrire en aljamía , mais conservèrent leur propre littérature en espagnol. Dans cette langue, ils rédigèrent des traités de polémique religieuse, des œuvres littéraires à forte influence hispa- nique et des traités religieux qui contribuèrent à réislamiser les morisques expul- sés. Ils le firent en espagnol avec des caractères latins : une « littérature secrète », conforme aux circonstances de la nouvelle société majoritaire. La seconde, Tratado de los dos caminos (Traité des deux chemins) , fut écrite en espagnol avec une calligraphie latine par un morisque anonyme expulsé en Tunisie. Ce texte, édité récemment, relate les deux chemins sur lesquels l’homme tantôt se perd, tantôt se sauve. Il reprend des citations gardées en mémoire de Lope de Vega, Luis de Góngora ou Francisco de Quevedo. L’auteur fait réfé- rence à la peinture espagnole de l’époque, au théâtre ; il mentionne également les productions connues de Ghazâlî, Qadi, Iyad, Ahmad Zarrûq. Ces deux œuvres, si distantes dans le temps et l’espace, ont été écrites pour transmettre aux générations à venir un itinéraire spirituel et un précis de connais- sances appartenant, de manière indéfectible, à un nouveau monde. Pour résu- mer, la littérature aljamiada est une littérature « clandestine » écrite par les morisques pour les morisques.

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