Montagne | Albera, Dionigi

Montagne 980 Habiter la montagne Vue de loin, la montagne paraît un bloc compact. En réalité, elle est entrecoupée de vallées, de plissures animées par une présence humaine ancienne et diffuse qui, dans la plupart des cas, est attestée depuis la préhistoire, même si les effec- tifs ont fortement varié selon les lieux et les époques. Les données dont on dispose ne sont ni complètes ni précises. Elles suggèrent cependant que la densité de la population n’était pas négligeable en montagne et dépassait parfois celle de la plaine. Quand la Méditerranée connaît une mar- ginalisation au sein de l’économie mondiale, aux xvii e et xviii e siècles, on assiste à un déclin de certaines cultures, comme la canne de sucre et le coton, aupa- ravant pratiquées dans les plaines côtières. Ces dernières sont souvent aban- données et deviennent de plus en plus marécageuses et inhospitalières, surtout à cause de la présence endémique de la malaria. La présence humaine se replie alors vers les hautes terres (Tabak, 2008). La population de la montagne médi- terranéenne augmente donc au cours de l’époque moderne (McNeill, 1992 ; Mathieu, 2011). Vers la fin du xviii e siècle, Volney s’étonnait par exemple de la forte densité de la population du Mont-Liban. Un topos très répandu fait de la montagne un refuge infranchissable, une terre de liberté. En effet, la topographie a rendu constamment difficile un plein contrôle des terres élevées par des puissances extérieures. Les grands bâtisseurs d’empires – romains, arabes, turcs – ont souvent préféré renoncer à les soumettre, en éta- blissant plutôt des liens d’allégeance ou de vassalité. Au cours du Moyen Âge et de l’époque moderne, même les mailles de formations étatiques plus restreintes y ont été moins denses et assurées. Cela a permis le maintien d’une certaine indé- pendance, même si le degré de la « liberté » montagnarde ne doit pas être exagéré. Autre différence de poids : sans tomber dans le stéréotype des républiques montagnardes égalitaires, il faut admettre qu’en montagne les conditions sociales ont généralement été moins polarisées que dans les plaines fertiles, où le déca- lage entre riches et pauvres est souvent devenu immense. Au xvi e siècle, la petite propriété paysanne avait un poids infime dans la plaine du Pô (Braudel, 1990, p. 83), et les terres collectives étaient destinées à y disparaître presque entière- ment au cours des siècles suivants, en privant ainsi les pauvres d’une ressource cruciale. Le phénomène est généralisé : d’un bout à l’autre de la Méditerranée, le constat est le même. Sur son sol ingrat, le paysan de la montagne vit mieux que celui de la plaine, sujet à une domination directe et rapprochée par les riches et les puissants (Weulersse, 1946 ; Montagne, 1930). Cependant la vie en montagne – faut-il le rappeler ? – s’est heurtée à des obs- tacles de poids. Associé à la pente, l’enneigement intense alimente les avalanches

RkJQdWJsaXNoZXIy NDM3MTc=