Montagne | Albera, Dionigi

Montagne 978 épargné par la dégénérescence, où le voyageur citadin peut se ressourcer physi- quement et spirituellement. Il y a longtemps, Lucien Febvre a bien explicité les conséquences de cet ima- ginaire stratifié sur l’appréhension des sociétés de montagne par les sciences humaines. Il esquisse avec ironie les traits du portrait-robot du « montagnard abstrait, typique, universel », cet homme « aux curiosités nécessairement res- treintes, à l’horizon limité par la haute barrière des monts ». Le montagnard est « tenu par son habitat à l’écart des grands courants de civilisation, conserva- teur dans l’âme, plongé dans le passé par toutes ses fibres, gardien superstitieux de l’héritage moral et matériel des ancêtres qui l’ont précédé, parce que rien ne vient lui inspirer le désir d’un changement » (Febvre, 1922, p. 248). L’historien balaie d’un revers de la main tous ces poncifs, en les qualifiant de mauvaise lit- térature. Et pourtant, ne reviennent-ils pas, tels quels, sous la plume de son plus brillant disciple, dans la caractérisation que Fernand Braudel donne de la réalité humaine de la montagne méditerranéenne, un monde qui lui semble grossier, dominé par l’archaïsme, la pauvreté, l’isolement ? Pour tenter de se soustraire à cette immense construction symbolique, ne faut-il pas éviter les automatismes de l’opposition binaire entre la montagne et la plaine, entre la montagne et la ville, et raisonner plutôt en termes d’interaction, de complémentarité, de circu- lation et d’imbrication ? Un monde à la verticale La couronne montagneuse autour de la mer se décline en un certain nombre de massifs. Commençons par mentionner ceux du Maghreb, que les anciens géographes arabes décrivaient comme Djazirat al-Maghrib, l’« île du Couchant » se dressant avec ses montagnes entre la mer et le désert. Les géographes modernes distinguent l’Anti-Atlas, le Haut-Atlas, le Moyen-Atlas et le Rif au Maroc, l’Atlas tellien et l’Atlas saharien en Algérie, se prolongeant dans les Aurès et la dorsale tunisienne. Le détroit de Gibraltar n’est qu’un répit de courte durée, car, à peine a-t‑il été franchi, le profil montagneux reprend ses droits avec les Cordillères espagnoles. Puis le circuit se poursuit sur la côte européenne avec les Pyrénées, les Cévennes, les Alpes, l’Apennin, les Alpes dinariques, le Pinde et les monts du Péloponnèse. Plus à l’est, sur le front asiatique, se dressent les hauteurs d’Anatolie (notamment, au sud, les monts Taurus, qui se prolongent dans les monts Nur), celles du Liban et de la Syrie (le Mont-Liban et l’Anti-Liban). Il n’est pas rare, en Méditerranée, que les montagnes plongent directement dans la mer, en créant une côte rocheuse, parsemée de criques et de petites baies. Les principales îles présentent à leur tour un relief escarpé, avec de véritables

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