Montagne | Albera, Dionigi

Montagne 984 Mobilités et interactions Une autre forme, capitale, de complémentarité entre la montagne et le bas pays a été le mouvement des hommes, qui a été ordinairement orienté de la mon- tagne vers la plaine. Les explications de ce phénomène semblent à première vue évidentes. Dans le milieu montagnard, rude et peu hospitalier, les limites du peuplement sont facilement atteintes. Il s’agit alors de déverser les excédents pour garder un équilibre entre la population et les ressources. Selon Fernand Braudel, les montagnes sont fatalement surpeuplées par rapport à leurs maigres ressources et doivent « essaimer ». Il sculpte ainsi une formule mémorable : « La montagne est bien cela : une fabrique d’hommes à l’usage d’autrui ; sa vie dif- fusée, prodigue, nourrit l’histoire entière de la mer. » (1990, p. 56.) En étu- diant l’émigration alpine dans un travail classique, Raoul Blanchard (1956) met, quant à lui, l’accent sur le décalage saisonnier, en établissant une rela- tion directe entre la longue pause hivernale liée au climat montagnard et les mouvements des hommes qui occupent cette saison. Cette vision assez méca- nique, souvent reprise en relation à la montagne méditerranéenne (par exemple, McNeill, 1992), s’est imposée avec la force d’une évidence intuitive. Cependant, comme c’est souvent le cas – surtout lorsqu’il s’agit de la montagne (et de la Médi­ terranée) –, les choses sont bien plus complexes. C’est ce que montrent plusieurs recherches récentes qui ont effectué un déplacement de perspective, en se posi- tionnant, pour ainsi dire, en montagne. Examinées à partir du point de départ, les sources fragmentaires d’où transparaît la présence diffuse des montagnards dans les plaines ont pris un autre sens, en dévoilant l’agencement de réseaux migratoires consolidés et bien organisés durant plusieurs siècles. Ces migrations n’étaient pas le fruit d’une expulsion, mais répondaient surtout à l’attrait des res- sources présentes dans le bas pays. Les émigrants montagnards ne fuyaient pas aveuglément un environnement hostile, mais disposaient de ressources et de compétences, notamment dans les domaines artisanal et commercial. Se des- sinent ainsi des systèmes migratoires complexes et sédimentés dans le temps, issus d’une même vallée, voire d’un même village, et capables d’articuler des acti- vités diversifiées. Par exemple, Laurence Fontaine a montré qu’au xviii e siècle une proportion allant d’un quart à la presque totalité du marché de l’imprimé dans plusieurs pays de l’Europe méditerranéenne (Italie, France méridionale, Espagne, Portugal) était dans les mains de réseaux originaires de quelques vil- lages du Briançonnais (Fontaine, 1993). Les recherches les plus poussées sur ces systèmes migratoires complexes (où les mouvements saisonniers s’imbriquent avec ceux de longue durée ou définitifs) ont concerné les Alpes, mais des indi- cations similaires viennent d’autres chaînes (Albera et Corti, 2000). Citons, par

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