Montagne | Albera, Dionigi

Montagne 983 troupeaux ont pu circuler chaque année entre les estives montagnardes et les pâturages d’hiver près de la côte. Les distances peuvent souvent être plus impor- tantes, et parfois les destinations de ces mouvements sont coupées par des fron- tières. Peu importe : la circulation ne s’arrête pas pour cela. Les bergers ont au moins deux patries : une patrie d’été et une patrie d’hiver… La mobilité des troupeaux n’est pas seulement une forme d’adaptation aux conditions de climat, de relief et de végétation. Elle nécessite aussi une organi- sation sophistiquée sur le plan social et politique (notamment pour assurer la possibilité de circulation) et a des retombées économiques qui vont souvent bien au-delà des attributs d’une simple économie de subsistance. Au i er siècle avant notre ère, dans le livre II du traité sur l’ Économie rurale , Varron prend comme modèle de l’élevage ovin le système mis en place en Épire par le grand proprié- taire T. Pomponius Atticus, ami de Cicéron. Ce système juxtaposait l’élevage sédentaire, mieux adapté à la production laitière, à l’élevage transhumant, des- tiné à la production de viande. Ce dernier, nous dit Varron, était pratiqué sur de longues distances, en oscillant entre les pâturages d’hiver et d’été (Cabanes, 1990, p. 72). Plus près de nous, de grandes formes de transhumance organisée ont eu de vastes implications socio-économiques et politiques. Autorisée en 1273 par le roi Alphonse X, la Mesta est un syndicat regroupant les propriétaires de troupeaux ovins transhumants de Castille. Les troupeaux de grandes routes qui leur sont destinées, les cañadas , sur lesquelles des péages royaux sont établis. Le système se développe rapidement sur des centaines de kilomètres, en direction du sud, en drainant chaque année plusieurs millions de têtes, surtout orientées vers la production lainière : il ne sera aboli officiellement qu’en 1836. L’autre grand système transhumant de la Méditerranée occidentale est la Dogana delle pecore de Foggia, en Italie, reliant les montagnes des Abruzzes et le Tavoliere des Pouilles. Vers le milieu du xv e siècle, Alphonse I er d’Aragon l’a organisée, en mettant en place des routes moutonnières spécialisées et obligatoires, les trat- turi , ainsi que les pâturages d’hiver dans la plaine. Des paiements étaient éche- lonnés tout au long du parcours et les éleveurs étaient contraints de vendre leurs produits à la foire annuelle de Foggia. Cette transhumance de grande enver- gure s’est maintenue jusqu’à l’aube du xix e siècle (elle fut supprimée par Joseph Bonaparte pendant l’occupation française de cette région). Si c’est la transhumance qui domine sur les rivages européens, des formes d’éle- vage plus proches du nomadisme ont subsisté jusqu’à une époque assez récente dans les Balkans, en Anatolie, dans l’Afrique du Nord.

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