Monothéisme | Boudignon, Christian

Monothéisme 973 (Proche-Orient et Europe). L’arrivée de l’islam en Méditerranée ne changera pas la donne monothéiste : seulement, l’islam répandra le monothéisme jusqu’au bout de l’Asie et dans l’Afrique septentrionale et orientale. Cette diffusion est indissociable de la géopolitique, cela est vrai pour le christianisme (comme plus tard pour l’islam). Les auteurs chrétiens comme Eusèbe de Césarée dans son Éloge de Constantin (III, 6) font coïncider le triomphe du christianisme avec l’unification du monde méditerranéen par les armées romaines : « Le Sauveur universel prépare le ciel et le monde et tout le royaume d’en haut pour qu’ils soient à la convenance de son Père, et (l’empereur chrétien Constantin) l’ami de ce Verbe fils unique et Sauveur conduit ses sujets sur terre à devenir les fami- liers du royaume du Christ. » Pour reprendre ces trois étapes, il s’agit chaque fois de la conjonction d’un espace politique et culturel unifié, d’un empire (babylonien puis perse, grec ou romain), avec l’idée monothéiste. Il s’agit, comme l’a montré Marcel Gauchet, d’une idée fondamentalement critique qui remet en cause l’ordre politico-religieux établi et procède ainsi à un « désenchantement du monde ». Cette idée critique est en fait la réaction de petits groupes méditerranéens (exilés et rebelles judéens, premiers chrétiens) au système religieux international d’équivalence des poly- théismes, qui prévalait en Méditerranée et qu’on appelle souvent l’ interpretatio graeca , selon lequel on peut traduire Ahura Mazda par Zeus dans la religion tra- ditionnelle grecque, ou par Baal dans la religion araméenne. Marcel Gauchet date du xvii e siècle la dernière activité de cette idée mono- théiste de « désenchantement du monde » dont est issue la société moderne dans laquelle nous vivons. Nous avons cité pour commencer l’exemple du marquis Jean-Baptiste de Boyer d’Argens qui définissait un monothéisme « individualiste », sans intermédiaire, sans Église entre le Dieu créateur et providentiel d’un côté et l’homme de l’autre, soumis à la règle d’or. Paradoxalement, l’« ami monothéïte » dont il était question n’est autre que le Christ dans la bouche de qui l’évangé- liste Matthieu (vii, 12) met la règle d’or : « Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le leur vous, c’est la Loi et les Prophètes. » Avec beaucoup d’humour, Boyer d’Argens présente des juifs en train de citer un vers latin reprenant les propos de Jésus-Christ pour définir un monothéisme de base, celui-là même qui débouchera à la fin du siècle sur le culte révolutionnaire de l’Être suprême. Cette religion nouvelle est le dernier avatar du monothéisme, dans une sorte de retour aux sources : « Sa religion », écrit Voltaire, dans l’article « Théiste » de son Dictionnaire philosophique , « est la plus ancienne et la plus éten- due, car l’adoration simple d’un Dieu a précédé tous les systèmes du monde. » Le monothéisme avait fait oublier jusqu’à sa naissance : son triomphe était complet. Christian Boudignon

RkJQdWJsaXNoZXIy NDM3MTc=