Modernité | Burke III, Edmund

Modernité 955 (Abu-Lughod, 1991 ; Chaudhuri, 1971). Puis est venue la révolution maritime européenne du xvi e à la suite de laquelle l’Atlantique est devenu le centre de l’éco- nomie mondiale émergente. Ces changements ont affecté la Méditerranée de plu- sieurs manières. Tout d’abord la Méditerranée, qui occupait auparavant un rôle central dans l’échange des marchandises, des idées et des populations au sein de l’Afro-Eurasie, s’est retrouvée de plus en plus marginalisée dans le contexte du nouveau réseau de communication maritime mondial. En second lieu, lorsque les Européens ont acquis un accès direct à l’argent des Amériques et à l’or de l’Afrique de l’Ouest, ils ont marginalisé les routes transsahariennes dominées par les musul- mans, lesquelles étaient auparavant d’importantes sources d’or pour l’Europe. Ces métaux précieux provenant des Amériques et d’Afrique de l’Ouest ont permis aux Européens de participer au marché mondial (Flynn et Giraldez, 2002). Pour finir, la région méditerranéenne, en voie d’épuisement sur le plan agricole après des millénaires de culture intensive, s’est retrouvée sans stratégie économique de remplacement viable. Au sein de l’économie mondiale globalisée émergente, la Méditerranée a été mise de plus en plus sur le banc de touche. Enfin, au début des Temps modernes, la région méditerranéenne dans son ensemble a commencé à faire face à un déficit énergétique potentiel. Au xvii e siècle, l’Europe occidentale a connu une déforestation rapide, mais la situa- tion était sans doute pire encore en Méditerranée. En effet, ses forêts avaient déjà été considérablement dégarnies à l’époque romaine, et les ressources de la région en termes de biomasse ont connu un déclin ultérieur après 1500. Vers 1800, la région était confrontée à une pénurie de bois grandissante. Mais à la diffé- rence des Européens de l’Ouest qui pouvaient exploiter des dépôts de charbon abondants, la Méditerranée était handicapée par l’absence de grandes réserves de charbon ; sa transition vers l’industrialisation s’en est trouvée compromise. Le poids des facteurs précités fait que nous n’avons pas à rechercher des expli- cations culturelles au déclin de la région méditerranéenne après 1500. Toute l’ingéniosité et toutes les bonnes intentions capitalistes au monde n’auraient pas pu compenser des siècles de déclin démographique, de régression agricole et de déforestation. L’affaiblissement de l’agriculture par le petit âge glaciaire a sapé davantage la position de la Méditerranée dans le contexte mondial. Les États méditerranéens n’avaient aucune solution à leur portée pour contrer le déclin de leur position dans la topologie des échanges mondiaux. Pas plus qu’ils ne pouvaient réparer le fait que lorsque mère Nature a distribué ses faveurs, la Méditerranée n’a pas eu de chance en matière de charbon. Manquant aussi bien des ressources écologiques que de la position stratégique nécessaires pour effec- tuer sa transition vers le nouveau contexte éco-historique de l’âge des combus- tibles fossiles, la Méditerranée a été l’un des plus grands perdants régionaux au sein de l’Eurasie depuis 1500.

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