Modernité | Burke III, Edmund

Modernité 954 pourvue en ressources agricoles et (initialement) forestières, la région a vu naître les premiers centres d’agriculture et de civilisation. La vigueur et le dynamisme des formes sociales complexes, qui se sont épanouies en Méditerranée, ont faci- lité des échanges soutenus entre des sociétés agricoles, mercantiles et pastorales. Durant des millénaires, la prospérité de la région a été garantie par la puissance sociale inhérente à des populations nombreuses et bien organisées exploitant une base de ressources variées et jouissant d’une position centrale dans les flux d’échanges au sein de l’Afro-Eurasie. Vers 1450, la Méditerranée commence à être minée par des vecteurs de changement tant continus que conjoncturels dont l’impact est allé grandissant. En conséquence, elle perd peu à peu de son élan. La situation éco-historique dans laquelle la Méditerranée s’est retrouvée après 1250 présentait quatre aspects principaux. Tout d’abord, le déclin cumula- tif à long terme de la productivité agricole. Ce déclin de la productivité agricole, dû principalement à des processus irréversibles d’envasement et de salinisa- tion consécutifs à l’introduction de l’irrigation, était déjà manifeste à l’époque romaine (Christensen, 1993). Parallèlement, la population de la Méditerranée, qui en 500 avant notre ère était plus de deux fois supérieure à celle de la Chine (42 contre 19 millions), s’est retrouvée à un niveau à peu près équivalent vers l’an 1000 (56 millions contre 57) (McEvedy et Jones, 1978). Cinq cents ans plus tard, la Chine et l’Inde étaient passées en tête. Vers 1800, la population de la Chine était quatre fois supérieure à celle de la Méditerranée. Les causes de ce fossé démographique grandissant sont complexes. Il traduit entre autres des changements importants dans l’utilisation de la terre, en raison du rôle accru de la production pastorale dans la période postmongole. L’impact du petit âge glaciaire (de 1300 à 1850) constitue un second facteur éco-historique dans la position changeante de la Méditerranée au sein du monde. Récemment, l’historien Faruk Tabak, dans The Waning of the Mediterranean , avance que le petit âge glaciaire a eu un impact cumulatif dévastateur sur l’agri- culture méditerranéenne, les pluies torrentielles détruisant les ouvrages d’irriga- tion, et les terres côtières inondées devenant des sites de paludisme endémique. Associé aux changements politiques contemporains (le déclin des empires et l’essor de la piraterie au xvi e siècle), le petit âge glaciaire a conduit au dépeuple- ment de longue durée de larges bandes côtières méditerranéennes (Tabak, 2008). La transformation de la place occupée par la région méditerranéenne dans la topologie des échanges mondiaux constitue un troisième changement majeur. Durant des millénaires, la région méditerranéenne a profité de sa position à che- val sur plusieurs routes commerciales mondiales. Mais à la fin du xv e siècle, la région de l’océan Indien était déjà en train d’émerger comme un nouveau centre dynamique de commerce. Certains historiens parlent aujourd’hui de la sphère de l’océan Indien comme d’une Méditerranée plus vaste et plus importante

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