Modernité | Burke III, Edmund

Modernité 953 de l’agriculture, de centres urbains, d’États et d’empires. Ensemble, ces chan- gements ont marqué la transition de l’humanité vers une nouvelle phase, l’âge agraire (ou, comme Braudel la désignait, l’ancien régime biologique), qui a régi les affaires humaines du I er millénaire av. J.‑C. jusqu’aux environs de 1750 de notre ère (Braudel, 1979). Mais dès 1450, une série de changements notables peut être observée dans l’ensemble de l’Eurasie. Les populations humaines ont commencé à connaître un accroissement plus rapide, les États se sont dotés de nouvelles capacités militaires et organisationnelles, et des développements nou- veaux se sont produits dans le domaine des communications (notamment l’im- primerie et le transport maritime). Au fur et à mesure que ces changements s’accumulaient, les États qui parvenaient à s’adapter aux nouvelles conditions régissant la guerre, le commerce et les communications, atteignaient une posi- tion de pouvoir sans précédent. Pour comprendre pleinement ces événements, il est utile de comparer la situation éco-historique et les stratégies spécifiques des États méditerranéens avec ceux de la Chine, de l’Inde et de l’Europe à la veille de la modernité. Autour de 1450, des contraintes écologiques entravant la croissance ont commencé à apparaître dans tous les États d’Eurasie. Alors que la Chine et l’Inde ont cherché à exploiter leurs frontières intérieures (le Yunnan et le Bengale respectivement), la solution trouvée par l’Europe de l’Ouest aux contradic- tions posées par l’accroissement de la population et l’épuisement des ressources a consisté à exploiter sa supériorité maritime en effectuant une expansion ter- ritoriale. Les colonies européennes d’outre-mer apportaient un avantage straté- gique dans la nouvelle lutte mondiale pour le pouvoir et les ressources. L’Europe a ainsi pu atteindre des niveaux de richesse et de puissance dépassant de loin les normes de l’âge agraire. La disponibilité des matières premières fournies par les colonies (principalement l’argent des Amériques) lui a permis de participer au nouveau marché mondial depuis une position de force. L’Europe s’est d’abord imposée dans le commerce asiatique des épices puis, lorsque la révolution du sucre (1650‑1800) a transformé l’économie atlantique en reliant l’Afrique, les Amériques et l’Europe, elle a pu canaliser les profits du commerce des esclaves et de la production de sucre dans les Caraïbes pour en faire une source de crois- sance économique inégalée. L’émergence d’un marché réellement mondial pour les épices, le sucre et d’autres marchandises n’a pas conduit, cependant, à une rupture totale avec les limitations matérielles de la croissance qui avaient carac- térisé l’âge agraire. Mais elle a permis à l’Europe de l’Ouest de transcender au moins certaines des limitations posées par sa situation écologique. La Méditerranée a fait face à une situation éco-historique différente. Située à la croisée de l’Asie, de l’Afrique et de l’Europe, elle a longtemps joui d’une posi- tion centrale dans la topologie des échanges avec l’hémisphère oriental. Bien

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