Modernité | Burke III, Edmund

Modernité 964 ont débuté par les guerres de Religion au xvi e siècle et malgré l’introduction de mesures de sécularisation, l’identité religieuse a continué à sous-tendre l’ordre politique émergent, et la religion, en tant que marqueur d’identité, n’a été que renforcée par la dynamique du changement. À l’encontre des attentes incarnées par le récit progressiste, les nationalismes linguistiques ont échoué à supplanter définitivement l’identité religieuse. Le sécularisme extrême des anarchistes espa- gnols trouve un écho dans l’action des militants d’Atatürk enTurquie. De même, le retour des groupes islamistes réprimés terrifie actuellement les détenteurs du pouvoir dans l’ensemble de la Méditerranée musulmane au nom d’une vertu et d’une justice populistes. Les tourments de l’Algérie contemporaine doivent être vus dans le contexte d’un État colonial français jacobin qui n’a démoli que trop efficacement les institutions centrales de l’islam algérien (Burke III, 2002). Un troisième axe de conflit majeur concernait la place des femmes dans la sphère publique et au sein de la famille patriarcale. Cette lutte aux multiples visages englobait non seulement le droit de vote des femmes, leur alphabétisation et le modèle de famille patriarcal, mais également le contrôle des femmes sur leur propre corps. En raison de la place du patriarcat dans l’organisation sociale et politique des sociétés méditerranéennes, la lutte ne pouvait qu’être prolongée et acharnée (Baron, 2005 ; De Grazia, 1992 ; Kandiyoti, 1991). En dépit de sa complexité et de sa variété, la lutte autour de la place des femmes dans l’espace public a vu s’affronter des groupes religieux et conservateurs à d’autres plus libé- raux, et a permis de définir ultérieurement la manière dont les sociétés médi­ terranéennes ont abouti à une politique moderne. Vu la complexité du sujet, nous ne pouvons qu’évoquer son importance ici. Conclusion Si l’on considère que la modernité a été le produit de processus globaux d’inter­ action des sociétés d’Eurasie, plutôt que le résultat du génie d’une société parti- culière, cela constitue un démenti des modèles de causalité qui voient les sociétés évoluer en accord avec un moteur civilisationnel interne. Cela va en particulier à l’encontre des interprétations du passé européen qui considèrent l’Europe comme dépositaire d’un destin préétabli, et voient l’indication d’une supériorité morale dans le fait que le monde moderne a trouvé sa première expression complète en Europe. La Méditerranée est un cas d’étude particulièrement utile dans cette perspective. Ancien centre de dynamisme économique et culturel, son histoire nourrit une partie des ouvrages sur lesquels s’appuie la littérature du « miracle » européen, selon laquelle une fois la force de propulsion du changement histo- rique atterrie en Europe du Nord-Ouest, la Méditerranée a quitté la scène au

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