Modernité | Burke III, Edmund

Modernité 963 de façon mémorable pour l’Italie et l’Espagne dans l’ouvrage d’Eric Hobsbawm Primitive Rebels : le millénarisme, le banditisme social et, un peu plus tard (phé- nomène plus préoccupant pour les propriétaires fonciers), les ligues de paysans telles que les fasci en Sicile, les anarchistes andalous et les organisations militantes (Hobsbawm, 1959 ; Burke III, 1991). La dynamique dépendait des contextes locaux, mais les violences paysannes ont constitué un aspect endémique de l’his- toire de l’Andalousie, de la Sicile, de la Grèce, du Liban et de la Kabylie (parmi d’autres régions). Dans ce contexte historique, les migrations ont servi à désa- morcer la bombe à retardement agraire, où les communautés paysannes affectées luttaient contre des propriétaires cupides (latifundistes ou colons étrangers) et contre les pressions inexorables d’une croissance démographique rapide. Un deuxième vecteur majeur de conflit était la place de la religion dans l’es- pace public, et comme composant essentiel de l’identité sociale. Dans l’ensemble de la région méditerranéenne le Projet libéral a stigmatisé similairement la reli- gion comme une composante arriérée à éliminer. Mais l’Europe latine n’est pas la seule à avoir été ravagée par la lutte entre les intérêts cléricaux et anticléri- caux au xix e siècle. Bien que ce fait ne soit pas largement reconnu, la même confrontation culturelle a également formé un leitmotiv dans l’histoire structu- relle profonde de la Turquie moderne. Ici nous pouvons distinguer trois prin- cipales expériences historiques : une Méditerranée latine (France, Italie et États ibériques), une Méditerranée orthodoxe (principalement les Balkans et certaines parties d’Anatolie), et une Méditerranée musulmane (les domaines ottomans, comprenant l’Anatolie, le Moyen-Orient et le Maghreb). Les bureaucrates des Tanzimât , tout comme les bureaucrates libéraux d’Espagne, de France et d’Italie au xix e siècle, considéraient les religieux comme les ennemis de la Réforme. Ils ne leur ont donc pas fait de cadeau (Berkes, 1964). Aux deux bouts du monde méditerranéen, les passions anticléricales populaires ont entraîné des attaques contre les couvents espagnols et les loges des soufis turcs. Ainsi, les élites reli- gieuses, qu’elles soient musulmanes, catholiques ou orthodoxes, ont cherché à contrer les efforts déployés pour abolir d’anciens privilèges ou pour saper d’anciennes classes (élites militaires, grands propriétaires fonciers et classes reli- gieuses). Des héritages historiques différents, notamment sur le plan des ins- titutions religieuses, des systèmes juridiques et des conceptions de l’État et de l’individu, différenciaient ces trois groupes. À certains égards, nous pouvons nous les représenter comme l’équivalent culturel de plaques tectoniques, parfois entrant en collision, parfois glissant l’une contre l’autre sur de longues périodes histo- riques. Toutefois, malgré leur puissance en apparence énorme, ces blocs civili- sationnels étaient divisés par de multiples complexités culturelles et syncrétismes locaux, qui ont constitué un aspect central de l’organisation de l’ordre social en Méditerranée. En dépit des frottements entre grandes plaques culturelles qui

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