Modernité | Burke III, Edmund

Modernité 962 cessé de se faire et de se défaire. Les luttes autour du Projet libéral le long des lignes de fracture culturelle du Sud de l’Europe, au cours du long xix e siècle, permettent de définir ultérieurement la progression de la Méditerranée vers la modernité. Jusqu’à présent, ces luttes ont été examinées principalement dans le contexte des histoires nationales. Il semble cependant opportun de les étudier dans un contexte régional, voire mondial. Partout dans la Méditerranée du xix e siècle, le projet de réforme libéral a vu s’affronter certains groupes de la société. Ceux ayant des liens privilégiés avec l’État ou avec des intérêts commerciaux européens ont souvent pu en tirer des profits disproportionnés, tandis que les artisans des villes et les agriculteurs des cam- pagnes se sont trouvés pressurés de tous les côtés. À la suite de l’établissement d’un contrôle politique européen, les groupes disposés à servir d’intermédiaires ont engrangé des gains considérables, tandis que les opposants déclarés ont subi diverses formes de discrimination politique et économique. Une série complexe de changements se sont mis en mouvement, s’entrecroisant et générant des contre-­ courants et remous qui ont érodé les anciens intérêts établis et en ont façonné de nouveaux. La protestation et la résistance sociales ont trouvé un terrain fertile dans les circonstances ainsi créées. Au fil du long xix e siècle, les élites, l’Église, les ouvriers et les paysans ont été divisés le long d’un certain nombre de lignes de fracture. Celles-ci ont été continuellement remodelées mais n’ont pas disparu. En fin de compte, toutes les personnes ont été affectées, quoique pas dans une même mesure. Si nous faisons abstraction des broussailles épaisses des spécificités locales qui ont influé sur ces luttes et les clivages qu’elles ont provoqués et mis à nu, il devient possible de repérer certains schémas fondamentaux. Il y a eu trois domaines de conflit principaux : premièrement, la question de la terre, qui a divisé paysans et propriétaires fonciers ; deuxièmement, les luttes autour de la place de la reli- gion dans l’État ; et troisièmement, la lutte diffuse autour du contrôle patriarcal de la sexualité féminine ainsi qu’autour du rôle public de la femme dans l’espace public. Examinons brièvement chacun de ces aspects à tour de rôle. La question de la terre a été incontestablement la source majeure de conflits en Méditerranée au cours du xix e siècle. Elle a opposé un groupe relative- ment limité de propriétaires fonciers détenant de vastes étendues de terre (les macro-fundia) à une multitude de paysans aux petites propriétés terriennes (les micro-fundia) et à un nombre encore plus vaste de journaliers et de tra- vailleurs agricoles sans emploi. Le développement de l’agriculture commerciale (aussi bien sous les auspices du colonialisme au Maghreb que sous l’autorité de propriétaires terriens locaux dans la Méditerranée européenne, en Anatolie de l’Est, en Égypte et dans la Grande Syrie) a provoqué une résistance continue. Au cours du xix e siècle, la région méditerranéenne, dans son ensemble, a été la proie de violences paysannes. Celles-ci ont pris différentes formes, évoquées

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