Modernité | Burke III, Edmund

Modernité 959 classes moyennes urbaines dont les fortunes étaient liées aux élites d’Europe du Nord, et a favorisé l’émergence d’une classe de propriétaires fonciers implantés dans les villes qui se livraient à une agriculture commerciale destinée à l’expor- tation. Cela a provoqué le déclin des artisans et des paysans, incapables de s’adapter à l’évolution des grandes tendances économiques. Aux pressions fis- cales et autres de l’État centralisateur sont donc venues s’ajouter des pressions supplémentaires nées de l’intégration au marché mondial capitaliste. Comme pour la mise en œuvre de réformes de l’État, des schémas semi-coloniaux peuvent être perçus dans les histoires économiques des divers « Sud(s) » de la Méditerranée européenne : l’Andalousie, certaines parties du Languedoc, la Corse, le Mezzogiorno. Un élément semi-colonial peut également être détecté dans la domination exercée sur ces divers « Sud(s) » méditerranéens par des groupes financiers et des institutions ayant leur siège au Nord, et dans la transforma- tion des systèmes de propriété foncière par des élites libérales liées à l’Europe du Nord. Bien que l’on puisse voir la modernisation économique de la région médi- terranéenne comme ayant été structurée par des relations coloniales, du moins en partie, une telle représentation reste incomplète. La transformation des sys- tèmes de propriété foncière et leur domination par des élites libérales liées au Nord en fait également partie. Il y a quelques décennies, les historiens de l’économie Jordi Nadal, Gérard Chastagnaret, Olivier Raveux et Luigi de Rosa ont remis en question la représen- tation historique conventionnelle de l’avènement de la modernité dans la région méditerranéenne. Ces historiens ont pris pour cible le modèle britannique, aux prétentions universalistes, du développement industriel impulsé par l’industrie du textile, au regard duquel la Méditerranée était perçue comme irrémédiablement arriérée. Ils ont avancé, à l’inverse, l’existence d’une voie spécifiquement médi- terranéenne vers le développement économique. Selon eux, dès les années 1830 (et non dans les années 1870 comme des historiens antérieurs ont pu le dire), les industries de la métallurgie, de la transformation alimentaire et des huiles végé- tales implantées à Barcelone, Marseille et Naples représentaient des centres de dynamisme au sein de l’économie moderne qui prenait son essor en Méditerranée (Chastagnaret et Raveux, 2001 ; Aubert, Chastagnaret et Raveux, 2005 ; Nadal, 1992 ; Chastagnaret [éd.], 1998 ; De Rosa, 1985). Un examen plus attentif fait apparaître que même certains propriétaires latifundistes du xviii e siècle en Calabre, longtemps considérés par les historiens comme désespérément retardataires par rapport aux évolutions économiques, étaient plus dynamiques économiquement qu’il n’y paraissait (Petrusewicz, 1996). Dans leurs grandes lignes, les schémas de changement économique étaient semblables dans le domaine ottoman, bien qu’avec certaines nuances importantes. Les entrepreneurs libanais fabriquant de la soie, les industriels égyptiens produisant du sucre et du coton, sans oublier

RkJQdWJsaXNoZXIy NDM3MTc=