Modernité | Burke III, Edmund

Modernité 958 nom de Tanzimât ) a entraîné une collision entre les bureaucrates de l’État dési- reux de réformer et les élites locales soucieuses de préserver leurs libertés et droits traditionnels. Ce processus a également été source de conflit avec les paysans et les artisans, pour lesquels cet empiètement de l’État s’est essentiellement traduit par l’enrôlement militaire et par une fiscalité renforcée. L’Égypte et la Tunisie étaient dotées de leur propre programme quasiment autonome de construc- tion d’un État. En effet, les deux pays, en dépit de leur appartenance juridique à l’Empireottoman, possédaient des capacités de changement internes. Le mou- vement de réforme était moins dynamique dans le Maroc précolonial, malgré les réalisations de Hassan I er (1876‑1894), et il était encore plus faible en Perse sous la dynastie kadjar. Pour finir, nous devons reconnaître que les réformes ont été mises en œuvre sous les auspices coloniaux, notamment au Maghreb, à comp- ter de l’invasion française de l’Algérie en 1830. L’introduction de réformes libérales (que ce soit dans l’Empire ottoman, en France, en Espagne ou au Maghreb) a déclenché dans la région des luttes oppo- sant réformistes de l’État et intérêts ruraux. Nommés par les centres métropo- litains, les réformistes n’avaient pas de comptes à rendre aux groupes locaux. Culturellement distincts des populations locales, ils parlaient des langues diffé- rentes et menaient leur action en se laissant guider par des principes culturels autres que ceux des groupes placés sous leur autorité. Imbus du sentiment de leur propre supériorité par rapport aux populations locales, du fait de leur évi- dente modernité, les agents chargés des réformes se sont débattus dans des dif- ficultés insurmontables. Partageant des stéréotypes orientalistes et des préjudices raciaux sur les groupes qu’ils administraient, ils recouraient fréquemment à la force pour mettre en œuvre leurs objectifs, ce qui faisait naître une résistance considérable. Incapables de parler la langue locale ou de comprendre les struc- tures diffuses du pouvoir local, ces responsables se retrouvaient isolés, cessaient tout effort, ou se retranchaient dans leur bulle. L’abîme culturel profond qui séparait les réformistes officiels et les propriétaires terriens progressistes de ceux qu’ils étaient chargés d’administrer dans leurs « Suds » respectifs, peut être vu dans les romans de Carlo Levi, Marcel Pagnol et Yachar Kemal. Un élément profondément colonial relie les expériences des populations méditerranéennes aux mains de l’État moderne. L’intégration de la Méditerranée à l’économie mondiale a stimulé un second type de changements de plus grande portée, puisqu’ils ont affecté cumulative­ ment des régions mêmes relativement isolées au sein d’États faibles. Toutefois, leur impact est demeuré supérieur dans des zones urbaines telles que Marseille, l’Italie du Nord, Barcelone, Salonique, Istanbul et certains secteurs du litto­ ral moyen-oriental, à cheval sur de grandes voies de communication interna­ tionales. L’intégration à l’économie mondiale a encouragé l’essor de nouvelles

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