Mille et Une Nuits, Les | Garcin, Jean­Claude

Mille et Une Nuits, Les 944 ‘Umar al-Nu‘mân est un grand conte politique sur les difficultés de la monarchie ottomane après la mort de Soliman le Magnifique en 1566. Peut-on parler d’une œuvre de combat contre les Ottomans subis de mauvais gré ? Quoi qu’il en soit, les espaces méditerranéens reparaissent dans les contes, plus vastes que précédemment, mais disposés de façon différente. Au nord, ils s’étirent jusqu’à Istanbul, et englobent la mer, où les Ottomans doivent affronter les Habsbourg. Au sud, ils s’étendent sur la Syrie et son arrière-pays, la route du pèlerinage d’Istanbul au Hedjaz, que des citadelles ottomanes protègent. En Égypte également, la vallée du Nil est contrôlée jusqu’en Nubie. Mais à l’ouest, la mer semble hors d’atteinte, comme le Maghreb. Si à la fin du xvii e siècle les auteurs finissent par ne plus prêter attention aux convulsions politiques d’Istanbul, ils n’en vivent pas moins dans un espace en guerre. Au cours du siècle, le danger représenté en Méditerranée par Malte et ses chevaliers est au centre du conte de ‘Alî Nûr al-Dîn et Maryam, la brodeuse de ceinture (Pléiade, III, p. 384‑474). Au xviii e siècle, la tension avec les chré- tiens est moindre (en 1709, le chrétien maronite syrien Hanna ne semble pas avoir éprouvé de difficultés pour se rendre à Paris, via Marseille, afin de fournir à Antoine Galland des matériaux pour compléter les traductions de ses Nuits ). Les contes reflètent des situations locales, plus prosaïques. C’est plutôt le mau- vais accueil des émigrés syriens venus chercher du travail à Alexandrie qu’évoque le conte d’Abû Sîr et Abû Qîr (Pléiade, III, p. 575‑601), écrit vraisemblable- ment par un auteur syrien. Des contes venus d’ailleurs dans le monde méditerranéen en ont suscité d’autres qui ont remplacé les premiers. Comme on l’a vu, les espaces médi­ terranéens où ces nouveaux contes ont été connus n’ont été sollicités ici que de façon heuristique, pour mieux comprendre les rythmes d’évolution et le sens d’un recueil particulier et fort complexe. Nous ne nous sommes pas demandé : en quoi ces contes peuvent-ils être dits « méditerranéens » ? Pouvons-nous en tirer un tableau d’une « société méditerranéenne » ? Nous savons depuis le moraliste du xv e siècle que les contes ne sont pas faits pour ça, pas plus que pour consi- gner une Histoire, même si on peut lire en filigrane les épreuves particulières, les interrogations, les peurs, les indignations ponctuelles qui les ont fait naître. Pour notre auteur, les contes relevaient d’un « divertissement », sorte de disci- pline de l’âme pour mettre provisoirement à distance et accepter ce qui l’a jadis blessée, comme le roi, grâce à Shahrazâd, finit par guérir de sa déconvenue conju- gale initiale. Y aurait-il un « imaginaire méditerranéen » récurrent à découvrir dans ces productions d’une élite littéraire, qui n’ont, par ailleurs, rien de « popu- laire » ? Pourquoi pas ? Mais présenter des hypothèses sur ce point serait préma- turé et supposerait que nous ayons déjà assimilé ce qu’une analyse globale des

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