Mille et Une Nuits, Les | Garcin, Jean­Claude

Mille et Une Nuits, Les 943 a possédée » (Leclanche, 1986, p. 99). Les contes circulent donc très tôt dans l’espace méditerranéen, ici sans doute par le biais des contacts commerciaux avec l’Égypte, par voie maritime. Des allusions toujours plus précises au conte-cadre se retrouvent au xv e siècle, dans une nouvelle de l’écrivain lucquois Giovanni Sercambi (mort en 1424), puis au siècle suivant dans l’ Orlando furioso de l’Arioste (mort en 1533), où interviennent deux frères. À sa manière, cette dernière varia- tion nous avertit de changements qui se sont produits dans les Mille et Une Nuits par-delà la mer, dans l’espace syro-égyptien. C’est en effet l’auteur du xv e siècle qui a introduit deux rois frères dans le conte-cadre. Il compose vraisemblablement, entre 1424 et 1436, ce qu’il considérait comme de Nouvelles Mille et Une Nuits. Originaire de Damas, il a sans doute connu tout jeune la déportation à Samarkand quand Tamerlan a pris la ville en 1401. Ses contes en conservent le souvenir (un thème récurrent dans ses contes est celui du gharîb , « l’étranger, l’exilé ») et entraînent parfois le lecteur vers des espaces bien éloignés de la Méditerranée, sous domination mongole. Mais ce décentrement n’est que provisoire, et l’essentiel n’est pas là. Notre auteur est le premier à avoir donné aux Nuits un caractère propre- ment littéraire. Son œuvre est cohérente. Il fait d’un conte à l’autre des rappels de vers ou de citations (une intratextualité) qui assurent l’unité de son livre. L’étude des passions et des caractères est son principal intérêt ; c’est un mora- liste. Quant aux vieux récits sur Harûn al-Rashîd et les siens, il les tourne en ridicule, sans égard pour la vérité historique. Un conte n’est pas un récit histo- rique ; l’auteur du xv e siècle sait très bien évoquer les horreurs mongoles sans tomber dans de plats récits ; on ne reviendra pas après lui sur cette différence entre conte et Histoire. Il est difficile de savoir comment la production de contes aurait évolué si elle n’avait pas été arrêtée par l’invasion des Ottomans en 1517. L’étude des « indices contextuels » montre qu’il a bien fallu une génération pour qu’Égyptiens et Syriens aient à nouveau envie d’écrire des contes. Ce ne fut que progressivement, au cours du xvi e siècle, que la production reprit, avant que vers l’extrême fin du siècle une nouvelle école littéraire des Nuits n’apparaisse avec le grand conte de ‘Umar al-Nu‘mân (Pléiade, I, p. 366‑696), qui marque une sorte de refondation des Nuits et le début de ce qu’on peut appeler Les Mille et Une Nuits modernes. Les auteurs devront à l’avenir s’inspirer du modèle fourni par l’auteur du xv e siècle. Les reprises de vers, de citations ou de thèmes antérieurs (dont celui du gharîb ) d’un auteur à l’autre assureront l’homogénéité de la production future : c’est un passage à l’intertextualité à partir de l’intra-textualité de l’œuvre du xv e siècle. Les recueils des Nuits modernes (y compris celui de « l’auteur de Bûlâq ») com- menceront désormais par les deux textes fondateurs : des contes du xv e siècle, aussitôt suivis par ‘Umar al-Nu‘mân .

RkJQdWJsaXNoZXIy NDM3MTc=