Mille et Une Nuits, Les | Garcin, Jean­Claude

Mille et Une Nuits, Les 942 et n’entraînent pas pour autant un vrai passage d’un monde à l’autre. Parmi les contes qu’on peut attribuer à l’auteur du xv e siècle (bien qu’il ne soit pas dans le manuscrit incomplet dont disposait Galland) figure celui du « che- val d’ébène » (Pléiade, II, p. 81‑103 [pour la version de Bûlâq]) offert au roi de Perse par un habile constructeur d’automates persan en compétition avec deux autres, un Indien et un Grec. Le cheval s’élève magiquement dans l’air et évolue dans un espace qui va de la Perse à Constantinople. Ce thème, vraisem- blablement emprunté par l’auteur du xv e siècle à un ancien conte indien, était déjà passé en Occident par l’intermédiaire arabe puisqu’il avait servi au xiii e siècle, peu après 1285, de canevas à deux grands romans épiques composés à l’occasion de l’accession au trône de France de Philippe IV le Bel à Perpignan : Meliacin ou le Cheval de Fust (de bois), de Girard d’Amiens (Saly, 1990), puis Cleomadés , d’Adenet le Roi (Henry, 1971). Mais les héros de ces deux romans, qui ont été enrichis de prouesses chevaleresques, se déplacent d’Espagne en Toscane, ou d’Arménie vers la Syrie des croisés, et ont perdu leurs noms orientaux. Seuls, dans Cleomadés , l’habile Persan devenu « roi de Bougie », ainsi que l’Indien et le Grec, devenus « roi de Barbarie » et « roi de Maroc », trahissent l’origine exo- tique du conte primitif. Autre exemple, dans la première partie du conte de l’auteur du xv e siècle, appelé Qamar al-Zamân (Pléiade, I, p. 792‑890), on trouve le thème de l’oiseau voleur de bijoux, qui constitue le thème central du roman de l’ Escoufle de Jean Renart (1 re moitié du xiii e siècle) [Sweetser, 1974], thème qui est sans doute primitivement oriental. Par ailleurs, toute cette première partie de Qamar al-Zamân est largement utilisée et transposée dans la transformation d’un roman occidental du xii e siècle relatif à la cathédrale et à l’hospice des pèlerins de Terre sainte sur l’îlot de Maguelonne, en face du port d’Aigues-Mortes ; ce roman devient au xv e siècle le roman de Pierre de Provence et la belle Maguelonne , un autre roman occidental qui a également une dimension politique (Michaut, 1926), comme si le recours aux contes arabes était prisé dans les grandes occa- sions. Mais les médiévistes français, qui ne lisent pas les contes arabes, sont réti- cents à admettre ces exploitations de textes orientaux. On voit que les espaces méditerranéens, au xiii e siècle (le temps des « passages », comme on appelait aussi alors les croisades vers ce qui reste du domaine croisé) et au xv e siècle, ont servi à la diffusion des contes. Le conte-cadre lui-même, l’histoire de Shahrazâd, est connu dès le milieu du xii e siècle, mais traité comme un conte isolé. On le découvre à peine déformé dans Floire et Blanchefleur où le roi d’Égypte (soit le calife fatimide du Caire) « observe la coutume que voici : il ne garde la même femme qu’une année, sans plus. Après, il convoque ses vassaux, rois et ducs, et il fait trancher la tête à cette femme : il veut que personne, ni clerc, ni chevalier, ne possède la femme qu’il

RkJQdWJsaXNoZXIy NDM3MTc=