Mille et Une Nuits, Les | Garcin, Jean­Claude

Mille et Une Nuits, Les 941 un faux forgé de toutes pièces puisqu’il n’existait aucun corpus arabe corres- pondant à cette « édition », ce qui était tout à fait exact. Il reste que l’analyse des « indices contextuels » montre que les versions des contes recueillies au Maghreb dans l’« édition de Breslau » sont assez souvent antérieures à celle des textes donnés par l’auteur de Bûlâq. Les Mille et Une Nuits sont arrivées au Maghreb peut-être seulement au xv e siècle, d’Égypte, par Tunis. Elles se sont ensuite largement répandues. Elles ont peut-être concouru à la confirmation du rôle (tardif ) de la place Jemaâ el Fna à Marrakech, comme lieu où l’on pouvait entendre des conteurs. Au xvii e siècle, le lettré marocain al-Yûsî y entend une histoire d’Alexandre qui pourrait bien venir des Mille et Une Nuits (pour un exemple, voir Pléiade, II, p. 331‑332) . Quoi qu’il en soit, ces histoires sont reçues au Maghreb comme des « contes orientaux ». Même si les sociétés maghrébines sont différentes de celles de l’Orient, ces contes sont compris et appréciés pour leur imaginaire. Mais il n’y a pas lieu de les modifier pour les adapter aux usages des temps nouveaux comme en Orient, encore moins pour en tirer des enseignements moraux. Le Maghreb a donc joué un rôle de conservatoire des versions anciennes de certains contes. En grande partie grâce à ce détour maghrébin, nous pouvons constater que « l’auteur de Bûlâq » a continué de corriger les contes postérieurs à ceux de l’auteur du xv e siècle. Il a fait de son recueil un ensemble de contes bien écrits et moraux, voire pieux. Le dénouement (le roi épargne Shahrazâd et l’épouse), moins banal qu’on ne le pense généralement, est en réalité un triomphe fait à la « Bonne Épouse », à la fois pieuse et bien née, épouse essentielle au couple idéal tel qu’il l’entend, lui-même fondement d’une société stable reposant à la fois sur le respect des hiérarchies sociales et sur l’application ferme de la loi islamique. Nous sommes ici aussi éloignés de la lecture volontiers érotique des Nuits par les Européens du siècle dernier que de celle des fondamentalistes égyptiens qui voulurent, il n’y a pas si longtemps, faire interdire une nouvelle édition du recueil parce qu’il incitait au péché. Au xviii e siècle, Antoine Galland, par ses traductions, a appris aux Occidentaux qu’il existait un ensemble appelé Mille et Une Nuits , et en a tra- duit les contes qu’il avait à sa disposition en les replaçant dans un Orient qu’il connaissait pour y avoir vécu. Ceci ne signifie pas que c’était le premier passage de contes d’un monde à l’autre, à partir de l’Espagne, de l’Égypte ou de la Syrie. On peut donner quelques exemples de ces passages. « L’auteur de Bûlâq » a inclus dans son recueil le long conte syrien du xii e siècle, la jeune et savante esclave Tawaddud (Pléiade, II, p. 276‑323), passé en Espagne dès le xiii e siècle sous le nom de La Doncella Teodor (Pino Valero Cuadra, 1996) . Mais ces emprunts sont assimilés par les auteurs occidentaux

RkJQdWJsaXNoZXIy NDM3MTc=