Métropole | Peraldi, Michel

Métropole 932 différence de ces villes qui dominent le capitalisme mondial, cette mobilisation est en grande partie informelle, à l’échelle de ce que Max Weber appelait un capitalisme des parias, rassemblant sous ce terme parvenus, commerçants au long cours, aventuriers et pirates, par différence avec les capitaines d’industrie. Et Le Caire… Car il est une autre figure de la démesure urbaine à laquelle la capitale égyptienne prête son image ; mais Lagos, Jakarta ou Mexico aussi…Où la démesure est moins le résultat d’une concentration de richesse et d’énergie que l’effet de la pauvreté et de la dépendance, dans un univers économique qui pro- duit désormais des « surnuméraires » autant qu’il concentre de manière toujours plus sélective les forces productives. Les villes mondiales ne sont pas en effet seu- lement composées de « créatifs » et de traders ; elles rassemblent aussi les armées laborieuses de travailleurs précaires dont les traders suroccupés ont besoin, pour leur usage domestique, et dans les ateliers qui fabriquent ici aussi, au cœur de New York ou de Londres, des fringues et des ordinateurs. Mais la pauvreté et la précarité des métropoles africaines, asiatiques ou sud-américaines est tout autre, et résulte non pas de l’exploitation mais de l’« inutilité au monde » pour nommer comme certains philosophes la mise à l’écart d’un ordre mondial désormais très sélectif et qui concentre de manière toujours plus discriminante les forces pro- ductives. En Méditerranée, Le Caire est donc la seule de ces métropoles qui sont comme l’enfer et l’envers des villes mondiales, aussi démesurées et colossales que les précédentes, mais plongées dans un chaos permanent. Certains pronostiquent déjà que ces métropoles de la pauvreté seront demain des villes de tentes et d’im- menses bidonvilles, rassemblant ceux que les désordres et les chaos des États en perdition jettent sur les routes, comme le préfigurent déjà les camps de réfugiés qui ceinturent aujourd’hui les pays africains ravagés par les guerres chroniques. Excepté Istanbul, digne de figurer au statut de ville mondiale, et Le Caire, si semblable aux métropoles africaines, asiatiques et américaines de la pauvreté, peu de villes méditerranéennes peuvent prétendre, d’un bord ou de l’autre, au statut de « métropole ». Et pourquoi pas ? À un seul bémol près cependant, qui regarde une autre manière de faire la ville dans le monde contemporain, moins par la compression des espaces que par celle du temps. Barcelone, Naples, Marseille, comme aussi bien Tunis et Casablanca, Beyrouth ou Tripoli, ne sont à l’échelle du monde que des villes moyennes, si démesurées qu’elles puissent paraître à ceux qui y piétinent dans les embouteillages chroniques. Ce sentiment de démesure ne tient pas tant à la taille des villes elles-mêmes, mais plus concrètement aux distances que la vie urbaine y oblige à parcourir, dans une forme urbaine qui rassemble fonc- tionnellement, plus que spatialement, les activités. Cette forme métropolitaine se présente alors comme une constellation de villes « solidaires », faisant alterner ville compacte et banlieues résidentielles dans une discontinuité spatiale qui est conti- nuité temporelle pour les citadins. La métropole marseillaise est aujourd’hui un

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