Métissage | Bonniol, Jean­-Luc

Métissage 928 privilégié pour l’apparition de cultures mixtes, au sein desquelles se constituent lors de l’Antiquité tardive, à partir des variantes locales du latin populaire (comme autant de créoles…), les nouvelles langues latines. À l’époque médiévale, au contact de la Chrétienté et de l’islam, semblent se profiler des plages harmonieuses de convivenza , auxquelles il a été souvent fait référence : l’Andalousie sous le califat omeyyade, la Sicile de Frédéric II… Plus tard, lors des temps déchirés de la pira- terie, des langues de contact se sont formées entre les deux mondes : lingua franca , sabir … Et ont pu se développer, dans la seconde moitié du xix e et au début du xx e siècle, des villes-mondes cosmopolites, dont Alexandrie constitue sans doute l’exemple le plus abouti. Autant de ressorts, aussi bien réels qu’imaginaires, aptes à supporter l’image d’un métissage méditerranéen…Un personnage comme Léon l’Africain semble illustrer, parmi les premiers, la figure du passeur entre les deux mondes (né en Andalousie, élevé au Maroc, fait prisonnier par des pirates chré- tiens et écrivant sa relation de l’Afrique en italien dans l’entourage pontifical…), figure que nombre d’écrivains, artistes et intellectuels ont pu ensuite incarner, allant jusqu’à adopter la langue de l’Autre (le fameux « butin de guerre » de Kateb Yacine), ou remontant, comme Adonis, à une ancienne généalogie commune. Ces antiques confluences, héritant parfois effectivement des mêmes sources (remon- tant dans le domaine savant à l’héritage antique), peuvent être aujourd’hui poli- tiquement utilisées comme modèles d’intégration de l’altérité : ainsi peuvent par exemple s’épanouir aujourd’hui des expériences de « musique-fusion » (comme avec le mixage du flamenco et de la musique arabo-andalouse…). Mais Henri Pirenne, dans son Mahomet et Charlemagne – même si sa thèse a été depuis fortement contestée –, avait au contraire pu mettre l’accent sur la ligne de fracture installée par l’irruption de l’islam, qui n’a cessé de rejouer au cours des siècles. Brisure aujourd’hui renforcée, à l’heure de la fermeture des frontières européennes, qui a presque transformé l’ancien lac intérieur en « cor- don sanitaire », et, sur l’autre rive, avec la montée du fondamentalisme religieux, alors qu’a pu naître un soupçon, fort répandu au sud de la Méditerranée, qui voit dans les affirmations de l’unité de l’espace méditerranéen une nouvelle démarche de domination de la part de l’Europe… On peut d’autre part remarquer que jamais les relations entre communautés n’ont abouti à la formation de groupes métissés : au mieux peut-on parler de coexistence conviviale. La dernière grande entreprise impériale, celle de la France en Afrique du Nord aux xix e et xx e siècles, n’a pas véritablement produit, sur le plan des alliances reproductrices, de métis- sage… Les barrières religieuses, si fermes dans les monothéismes, n’ont jamais été véritablement franchies : pas de place ici pour le syncrétisme, même si cer- taines figures saintes, et certains pèlerinages, peuvent être partagés. Les migra- tions, les rencontres, les proximités spatiales n’ont pas impliqué le mélange et la fusion, alors que les prescriptions matrimoniales, à fondement religieux, ont

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