Médias | El Oifi, Mohammed; Gebeil, Sophie

Médias 904 Internet, une source pour l’histoire des mobilisations politiques et des modes de médiation en Méditerranée Depuis le renversement, pendant l’hiver 2011, des dictateurs Zine el-Abidine Ben Ali en Tunisie et Hosni Moubarak en Égypte, le Web est devenu le qua- lificatif de ces mouvements au point de les désigner comme « révolution 2.0 » (Ghonim, 2012). Partant de ce constat, plusieurs travaux ont ainsi questionné le rôle d’Internet dans les révoltes arabes, notamment en Égypte et en Tunisie. Le premier enseignement de ces analyses réside dans la nécessité de contextua- liser les diverses formes de mobilisation sur le Web en sortant de la « cyberuto­ pie » de la révolution Internet née des contacts privilégiés entre les acteurs de la mobilisation sur le Web et les journalistes internationaux (Lecomte, 2011). Ce contexte est d’abord marqué par une diffusion inégale du réseau dans les pays concernés. Ainsi, en Tunisie, le mouvement social est né à Sidi Bouzid, dans une des régions ayant des taux de connexion parmi les plus faibles du pays. Replacer le Web dans son contexte implique également d’en appréhender les usages aux temps des dictatures. Si les régimes autoritaires ont favorisé le développement d’infrastructures techniques permettant le développement du réseau, cela a été associé à un arsenal juridique visant à contrôler les agissements des internautes. Malgré ces contraintes, les premiers dissidents en ligne ont créé des listes de discus- sion dès la fin des années 1990. Ainsi, le groupe Takriz créé en 1998 en Tunisie, composé principalement de hackers, a constitué un support d’information essen- tiel à destination des médias internationaux lors des révoltes de 2011. Au début des années 2000, les actions politiques se multiplient sur les blogs, comme le mouvement Kefaya (Gonzalez-Quijano, 2012). Avec l’émergence des outils du « Web 2.0 » au tournant de la décennie 2000, les opposants se tournent vers les réseaux socio-numériques. La dissidence politique sur Internet n’est donc pas née en 2011 et préexiste aux révoltes. Cet activisme reste le fait d’une minorité en regard des usages du réseau, largement dédiés à des activités non politisées. Espace de mobilisation politique, Internet a également constitué un outil de coordination et de diffusion de l’information pour les révolutionnaires (Najar, 2013) et a joué un rôle d’accompagnateur, d’amplificateur de la révolte mais n’en a pas été le déclencheur (Lecomte, 2013). Les travaux en sciences humaines ont par ailleurs mis en évidence l’émergence de nouveaux acteurs de la mobi- lisation sur l’Internet. À partir du cas tunisien, Romain Lecomte propose une typologie distinguant les « producteurs-diffuseurs », les « curateurs » et les « cyberactivistes-relayeurs ». Ces nouveaux acteurs sont bien souvent des jeunes diplômés, polyglottes, vivant dans les espaces urbains du littoral tunisien. Ces

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