Médecine | Buzzi, Serena; Ferracci, Elsa

Médecine 890 Les qualités remarquables dont firent preuve les médecins dans l’enregistre- ment des cas étudiés sont cependant à l’origine de connaissances qui, jusqu’à la Renaissance, restèrent des références incontestables. Les maladies aiguës sont dis- tinguées des maladies chroniques ; la périodicité des fièvres est conceptualisée, et la théorie des « jours critiques », durant lesquels l’état du malade présentait des chan- gements significatifs, permet d’anticiper l’évolution du mal ; l’influence des fac- teurs externes comme les saisons, analysée par exemple dans le traité Airs, eaux, lieux , est tenue pour capitale, surtout dans la branche médicale issue de l’« école » de Cos ; les remèdes sont adaptés au moment et à la force de la maladie, comme la ptisane conseillée dans le régime des maladies aiguës, etc. Outre ces concepts analytiques, qui permettent au médecin de rechercher une régularité dans le déve- loppement de la pathologie, de véritables systèmes nosologiques sont développés ; un lexique spécifiquement médical se fait jour, bien qu’encore fortement mar- qué par un usage de la métaphore et de l’image ; et certaines affections comme l’épilepsie sont l’objet de véritables monographies (comme Maladie sacrée ) : l’art médical permet d’identifier un ensemble de symptômes, de les nommer et, par conséquent, d’en envisager méthodiquement la guérison. La médecine se consti- tue ainsi peu à peu en connaissance systématique de l’homme et de la santé. À la croisée de ces premières démarches rationnelles et d’une approche encore archaïque de la guérison, qui reste par ailleurs vivace à travers certaines pratiques magiques (port d’amulettes, incantations, rituels, interdits symboliques…), on trouve la conception de la maladie elle-même : parfois décrite dans les écrits du corpus hippocratique comme une entité vivante qui agresse sauvagement le malade, elle est le plus souvent perçue comme le résultat d’un dérèglement physiologique, caractérisé par un excès d’humeur dans le corps, causé par divers facteurs internes ou externes. Car la santé est avant tout pour les médecins hippocratiques un équilibre entre les différents constituants du corps comme les humeurs, ou un équilibre entre le corps du patient et son environnement. La maladie provient d’une rupture de cet équilibre : elle est conçue comme une anormalité dans l’état de santé qui, quant à lui, relèverait de la normalité. Cette conception de la santé comme équilibre et respect de la mesure laisse deviner le mèdén agan (« rien de trop ») cher aux Grecs. Seule la juste mesure peut garan- tir le mélange harmonieux des éléments : on retrouve ainsi la notion d’isonomie, utilisée également dans le domaine de la réflexion politique. Les médecins, souvent pragmatiques et descriptifs quand il s’agit de l’art cli- nique ou thérapeutique, peuvent donc aussi se montrer philosophes, voire témoi- gner d’un certain goût pour la controverse, à la suite des présocratiques. Parfois sous-tendus par la dimension agonistique propre au monde grec, les démons- trations rhétoriques du corpus visent à assurer de l’existence même de l’art de la médecine comme science autonome : « l’art existe », comme l’affirme l’auteur

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