Médecine | Buzzi, Serena; Ferracci, Elsa

Médecine 889 en cause de l’intervention divine dans le processus de la pathologie ou de la guérison est ainsi au cœur du bouleversement méthodologique qui sépare radicalement la médecine grecque et, à sa suite, la médecine rationnelle telle qu’elle sera conçue dans le bassin méditerranéen, des médecines égyptienne ou mésopotamienne, dominées par des croyances magiques ou religieuses. Car la réflexion sur l’étiologie des maladies mène les auteurs grecs – qui n’étaient pas tous des praticiens – à rejeter l’idée d’une surdétermination divine dans la maladie. À la suite des auteurs présocratiques, les médecins recherchent dans la nature une régularité des phénomènes qui permette d’inférer des relations de cause à conséquence et, ainsi, de prévoir l’apparition et le cours d’une maladie sans recourir aux dieux ni à la magie. À la notion de nature s’adjoint donc celle de normalité qui s’oppose au pathologique et permettra, par exemple, l’établis- sement du célèbre « faciès hippocratique » décrit au chapitre II du Pronostic , encore tenu aujourd’hui pour un chef-d’œuvre dans l’art de la sémiologie. La causalité naturelle des dérèglements organiques telle que l’établissent les trai- tés, à l’exemple de Maladie sacrée , qui rejette la causalité divine dans l’attaque d’épilepsie et favorise l’explication humorale, suppose, malgré les ambiguïtés soulignées plus haut, une démarche induite par les pensées philosophiques sur la nature. Le concept de cause est également différencié de celui de la concomi- tance ; associé à un art poussé de l’observation des signes, comme en témoignent les « fiches de malades » des Épidémies , il permet d’évincer de la maladie toute intervention divine : puisque tel signe est systématiquement associé à tel autre et mène dans la plupart des cas à telle affection, alors toute intervention d’une causalité annexe s’avère inutile. L’attachement à l’examen du corps, aux changements et aux continuités de l’état du patient, à la récurrence des symptômes, à la temporalité des affections, est en effet au cœur de la plupart des traités hippocratiques et marque un autre saut méthodologique. Non que les médecines antérieures aient négligé entiè- rement de décrire les réalités de la pathologie pour en tirer quelque enseigne- ment : ce souci de l’observation se retrouve aussi dans la médecine égyptienne, comme en témoignent les cas cliniques chirurgicaux du Papyrus Edwin Smith (1 600 av. J.‑C.). Ce sont cependant les Grecs qui ont érigé en « méthode » (hodos) , pour reprendre le terme d’ Ancienne médecine , un abord empirique de la maladie, s’opposant au moins en principe au développement de théories non fondées sur des observations vérifiables. La réalité de la médecine du temps est souvent autre, et les théories, par exemple humorales, avancées par certains auteurs demeurent des spéculations auxquelles le raisonnement analogique sert régulièrement de démonstration quand la connaissance de certaines réalités ana- tomiques ou physiologiques fait défaut (rappelons que la dissection humaine ne fut pas pratiquée avant la période hellénistique).

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