Mauvais œil | Zirari, Hayat

Mauvais œil 883 Pour conclure sur les définitions du mot, ‘ayn renvoie à deux dimensions : la première touche à la peur et au sentiment d’insécurité présent en situation d’inter­ action ; la seconde renseigne sur la dimension conflictuelle (agonistique) qui marque les relations interpersonnelles et que la notion dumauvais œil met en scène. Le sens de cette croyance n’est pas figé mais dépend des interactions et contextes sociaux. En effet, ces définitions permettent de cerner le sens produit et la signification donnée. Le mauvais œil serait « à la fois matériel et immatériel, corporel et incorpo- rel, état et action, personnalisé et omniprésent. C’est un signifiant qui donne une apparence d’unité phénoménologique à une série d’éléments disparates : il ne nomme pas une réalité, il la crée dans l’ordre linguistique » (Radi, 2014). Le regard de celui qui envie ou convoite le bonheur ou les biens d’autrui peut s’avérer être meurtrier. Il peut être d’une violence égale ou supérieure à la mort naturelle. Le mauvais œil n’est pas à associer à la sorcellerie. Il est en relation avec une représentation de l’invisible et du mal, un invisible prévisible, et un mal connu et dont il faut se protéger (Doutté, 1908). Le mauvais œil est une manifestation sociale et humaine dont les protagonistes ne sont autres que des personnes socialement identifiables. On comprend combien l’enracinement de la peur que suscite le simple fait de se voir exposé à l’œil d’autrui est immensé- ment profond, sans que ce soit forcément lié à une réalité tangible mais plutôt à une représentation collective partagée. Les rites de protection : une pratique normalisée Les croyances ne sont pas directement observables, mais sont illustrées par des attitudes et comportements qui leur donnent forme et se prêtent à l’observation et à l’analyse. Les signes de présence et de mobilisation du mauvais œil sont déce- lés dans le quotidien des interactions entre individus de manière plus au moins perceptible dans des contextes spécifiques d’exposition de son bien-être, d’une performance réalisée de ses biens ou de toute autre forme de valorisation de soi ou de ses proches (conjoint, enfants…). Les différents rites prophylactiques se retrouvent mobilisés au quotidien dans les interactions entre individus : formules prononcées et ponctuant les échanges, paroles ou formules quotidiennes en réponse à un compliment provenant ou en direction d’autrui ; versets du Coran récités souvent discrètement lors d’un senti- ment d’exposition au mauvais œil ou de présence d’un regard supposé mauvais ; port de bijoux (khmissa) , amulettes, henné, tatouages ou autres. Les mêmes pra- tiques se retrouvent aussi bien chez les communautés musulmanes et juives du Maghreb (Zafrani, 1995, p. 391).

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