Maternité | Knibiehler, Yvonne

Maternité 868 Grâce à la révolution pasteurienne, le corps médical peut combattre la morta- lité maternelle et la mortalité infantile. Ses victoires spectaculaires lui confèrent de l’assurance et du prestige, les politiques s’inclinent devant ses directives. Le « pouvoir médical » s’impose dès le début du xx e siècle sur les rives nord de la Méditerranée, il progresse ensuite sur les rives sud, colonisées par les Européens. Les hommes de l’art prennent bientôt en main toute la reproduction humaine : grossesse, accouchement, maternage, puériculture, ensuite contraception et procréation assistée. Les savoirs anciens sont disqualifiés, la transmission de mère à fille ne fonctionne plus, le monde des femmes se désagrège. L’enfant ne naît plus dans la maison du père. Les rites d’accueil symboliques sont supplan- tés par les rites sanitaires. La médicalisation rassure les mères dans un premier temps, mais les soumet aussi à de nouvelles angoisses : en partie dépossédées de leur corps, et de leur petit, elles reçoivent parfois des injonctions paradoxales, et souffrent d’isolement. Aussi les pouvoirs publics s’efforcent-ils de mettre en place un accompagnement institutionnel, un « service social », pour remplacer l’entourage familial et féminin. La maîtrise de la fécondité, si longtemps recherchée en secret, désormais admise officiellement, apporte aux femmes un habeas corpus quasiment mira- culeux. Là encore, on observe un décalage chronologique entre les rives nord et sud de la Méditerranée : les lois libéralisant (sous condition) la contracep- tion et l’avortement ont été promulguées dans les pays du Nord, durant les années 1960 et 1970, alors que certains pays du Sud, tout en adoptant assez facilement des politiques de contraception, discutent toujours la licité de l’avortement au nom de la charia. Mais en réalité, reconnues ou non, les pra- tiques malthusiennes se sont infiltrées partout, et le taux de natalité des pays du Maghreb décline rapidement. Il s’avère peu à peu que l’usage de cette liberté pose bien des problèmes. Celle qui désire un enfant hésite parfois à lui imposer la vie : suis-je capable d’être une bonne mère ? dois-je renoncer à mes activités personnelles pour l’élever ? comment lui assurer les meilleures conditions d’existence ? comment préparer l’avenir ? La maternité acquiert là une responsabilité de dimension politique. Et la place du père reste à redéfinir. Quant à la stérilité, toujours si frustrante, elle est désormais palliée par l’as- sistance à la procréation. Mais là encore, rien n’est simple, surtout s’il faut faire appel à des fournisseurs de gamètes, ou à un utérus auxiliaire. Les femmes pauvres peuvent être tentées de vendre leurs ovocytes ou de louer leur matrice. Les pays méditerranéens sont dans l’ensemble plus pauvres que les pays du Nord de l’Europe. Aussi existe-t‑il des trafics clandestins : une filière, bien organisée et apparemment rentable, permet aux Françaises de se faire implanter des ovocytes fournis par des femmes grecques.

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