Maternité | Knibiehler, Yvonne

Maternité 867 Mahomet n’a aucune place dans le Coran ni dans la charia. La science arabe, de son côté, héritière des savoirs antiques, attribue au père un rôle majeur dans l’œuvre de procréation. La maternité en soi n’a donc rien de vénérable. Elle est instrumentalisée, comme dans l’Antiquité, au service des lignées masculines. La polygamie (polygynie) permet à un homme d’engendrer de nombreux fils, et d’en tirer gloire. Hors mariage, la maternité est censée ne pas exister ; mais, au sein de la famille et de la communauté, elle est constamment portée, protégée, assistée par le monde des femmes qui en accompagnent l’apprentissage et l’exer- cice. Toute fille doit être donnée en mariage pour produire des garçons ; celle qui n’enfante pas et celle qui ne donne que des filles risquent fort d’être répu- diées. Pour une femme, le principal attachement affectif, le principal mérite, le principal objet de fierté, c’est son fils, ses fils. Quand le fils prend femme à son tour, la mère a autorité sur la belle-fille et règne sur la maisonnée. Au sein de la famille, la relation entre mère et fils est de loin la plus vivante. Pourtant aucun mythe ne l’exalte. Parmi les populations que l’islam a soumises et/ou converties, au contraire, les contes oraux conservent des figures féminines dévorantes : ainsi l’ogresse Teryel, si présente dans la culture kabyle. Les sciences biologiques et médicales sont curieuses de l’engendrement et des rapports entre mère et enfant. Les savoirs des Anciens ont été conservés et enrichis par les Arabes. À Bagdad, les califes créent des hôpitaux, ainsi que des institutions officielles d’enseignement où les femmes sont admises à l’égal des hommes. En Occident, le premier foyer de renouveau médical et chirurgi- cal, à partir du ix e siècle, c’est, en Italie du Sud, l’école de Salerne, où viennent les femmes. À mesure que les dissections se multiplient, surtout à partir de la Renaissance, les savants s’intéressent aux organes génitaux féminins, avec l’es- poir de percer le mystère de la génération. Une étape décisive est franchie au xvii e siècle avec la découverte des « œufs » (ovocytes) : il s’avère alors que toute femelle mammifère concourt autant que le mâle à l’œuvre de génération ; la mère est génitrice, donc l’égale du père ; mais sa participation est différente. En conséquence, les discours savants insistent désormais sur cette différence pour maintenir les mères en subordination : à elles « les tendres soins des corps et des cœurs » ; aux pères le pouvoir et l’autorité. Rousseau, qui met en valeur les liens entre la fonction nourricière et la fonction affective, exalte l’amour mater- nel, nourriture psychique, aussi vitale que le lait. La fonction éducative de la mère, déjà reconnue par l’Église, prend de plus en plus d’importance après les Lumières. Et pourtant une fille qui enfante hors mariage devient objet d’op- probre et de mépris. Au cours des xix e et xx e siècles, deux facteurs majeurs de transformation, la médicalisation et la réduction des naissances, se développent d’abord dans les pays occidentaux et septentrionaux, et atteignent ensuite l’aire méditerranéenne.

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