Maternité | Knibiehler, Yvonne

Maternité 865 temps de Trajan et d’Hadrien, qui consigne et transmet les directives, avec minu- tie et empathie : il précise l’hygiène de la femme enceinte, indique les caractéris- tiques d’une bonne nourrice, décrit la technique complexe de l’emmaillotage du nouveau-né, ainsi que celles du bain, des massages, du bercement, du sevrage. Il instruit les sages-femmes, qu’il traite comme de véritables spécialistes. Le pre- mier, il ose dissocier le féminin du maternel : les femmes, dit-il, se porteraient mieux si on ne les forçait pas à se marier et à enfanter. Il ne blâme pas les mères qui renoncent à allaiter, sachant que l’interdit vient souvent du père : celui-ci redoute la force des liens charnels et affectifs qui se nouent alors entre la mère et l’enfant. Aussi le recours aux nourrices restera-t‑il en usage, en France notam- ment, jusqu’à la fin du xix e siècle. Les traités médicaux antiques proposent toutes sortes de recettes empiriques et magiques, pour éviter la grossesse ou pour « faire revenir les règles », c’est-à-dire provoquer l’avortement ; le fœtus, croit-on, n’est humanisé que lorsqu’il bouge. Avorter n’est pas interdit, mais les drogues effi- caces sont dangereuses et difficiles à doser : si la consommatrice vient à succom- ber, la personne qui lui a procuré la drogue sera poursuivie et sanctionnée pour empoisonnement. C’est pourquoi, par le serment d’Hippocrate, tout médecin s’interdit de donner des abortifs à une femme. Quand le Dieu unique se révèle, il transcende tout ; les puissantes déesses mères se retirent. Le monothéisme méditerranéen, sous ses trois formes – judaïsme, christianisme, islam –, consacre la structure patriarcale de la famille : le père représente la puissance divine. La maternité est incarnée par deux mor- telles, Ève et Marie, figures mythiques. Ève est devenue mère par suite de sa désobéissance. Chassée du paradis avec Adam, elle découvre le désir qui la sou- met à l’homme, et elle enfante dans la douleur ; mais Yahvé lui révèle aussi la maternité comme une bénédiction : « Croissez, multipliez-vous, emplissez la terre. » La Bible donne à voir combien le désir d’enfant est ardent chez cer- taines femmes, Sara ou Rachel, par exemple ; le fils longtemps attendu est sou- vent promis à un destin exceptionnel. Le jugement exemplaire de Salomon enseigne que la bonne mère n’est pas celle qui enfante à tout prix, mais celle qui veut le bien de son enfant. L’obéissance de Marie a permis la rédemption des humains. Son « Fiat » transmet non seulement la vie, mais la foi, c’est-à-dire la vie éternelle. L’Annonciation, si souvent représentée, remet en cause la société patriarcale : l’autorité divine est supérieure à celle des hommes, père ou mari ; mais en affir- mant le principe de paternité, elle prévient toute maternité sans loi, toute rela- tion symbiotique où la mère posséderait son enfant comme un bien propre. Le message signifie aussi la transcendance de l’enfant, inscrit dans un réseau symbolique dès avant sa naissance. La piété populaire a développé autour de la mère du Sauveur une mythologie luxuriante qui s’exprime à travers les

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