Maternité | Knibiehler, Yvonne

Maternité 864 mâles. Médée tue elle-même ses propres fils pour se venger de Jason, leur père. Son geste crée le scandale suprême, l’anarchie suprême. Il n’a pas cessé de han- ter jusqu’à présent les artistes et les poètes : tous expriment l’angoisse masculine face aux passions incontrôlables d’une mère maltraitée. Euripide, qui a porté au théâtre cette tragédie, déclare que la souffrance et la dépendance des femmes sont inévitables, le rôle de la civilisation étant d’empêcher que cette souffrance provoque des troubles. Au-delà des mythes, les savants et les philosophes grecs (Hippocrate, Platon, Aristote et beaucoup d’autres) ont confirmé l’infério- rité des mères et la nécessité de leur subordination : elles ne sont, par nature, que des nourricières, certes indispensables, mais secondes, auxiliaires, données aux hommes pour assurer leur descendance et perpétuer leurs lignées. Le géni- teur essentiel des enfants, c’est leur père. Les sociétés méditerranéennes sont patriarcales. En atteste le droit romain, monument vénéré, dont les principales dispositions concernant la famille ont subsisté en France jusqu’aux années 1960. Alors que le paterfamilias exerce à la fois un sacerdoce et une magistrature, la materfamilias n’est qu’un instrument : sa fécondité permet d’honorer les ancêtres et de repeupler les légions. Si elle est stérile, elle peut être répudiée. Elle est dépourvue de tout droit sur ses enfants. Son époux peut refuser d’élever le nouveau-né qu’elle vient de mettre au monde (s’il est infirme, ou si c’est une fille en surnombre) et le faire « exposer » ; s’il divorce, il garde les enfants chez lui ; s’il meurt, c’est la famille paternelle qui les élève ; au cas où la veuve est enceinte, son « ventre » reste sous la surveillance d’un « curateur ». Un citoyen doit transmettre son nom et ses biens patrimo- niaux : s’il n’a pas de fils, il adopte le fils d’un autre citoyen ; alors qu’une femme ne peut rien transmettre et ne peut donc ni adopter ni être adoptée. Toutefois les mœurs humanisent la rigueur des lois : une mère, divorcée ou veuve, peut voir ses enfants et les choyer ; celle qui n’en a pas eu, ou qui a perdu les siens, peut recourir à une adoption « de cœur » et élever un enfant comme sien. Une Romaine doit accepter avec sérénité, voire avec fierté, la mort de ses fils sur les champs de bataille. Cornélie, fille de Scipion l’Africain, est souvent citée comme un modèle parfait de matrone romaine. Patricienne cultivée, mariée à un consul d’origine plébéienne, elle a mis au monde douze enfants ; elle a veillé sur leur éducation et elle a poussé ses fils, « les Gracques », vers l’action politique. Notons qu’elle fut encore donnée en exemple aux Italiennes au temps du fascisme et aux Françaises pendant le gouvernement de Vichy. Agrippine, mère de Néron, constitue un contre-modèle : ambitieuse et cruelle, elle se sert de son fils pour accéder au pouvoir. Mères et enfants sont soignés, à Rome, selon des principes qui feront auto- rité en Occident jusqu’à l’ère pasteurienne. Les femmes se soignent entre elles le plus souvent. Mais c’est un médecin, Soranos d’Éphèse, exerçant à Rome au

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