Martyr | Bromberger, Christian

Martyr 860 condition pour être reconnu par des adeptes d’autres croyances ; c’est le centu- rion romain au pied de la Croix confessant : « Vraiment, cet homme était le fils de Dieu » et ouvrant la voie à une reconnaissance universelle du christianisme. Dans le mythe chiite, la légitimité des revendications de l’imam prend aussi toute sa force quand Hurr, le commandant des troupes de Yazîd, et Nasrani, le prieur chrétien, se rallient à Husayn. Autre proximité entre les deux traditions : le destin dramatique des lignées (spirituelle dans le christianisme, spirituelle et généalogique dans le chiisme) fondatrices ; au martyrologe chrétien répond le récit de la disparition tragique des onze premiers imams (le douzième est entré en occultation et réapparaîtra à la fin des temps). Dans le langage courant, le martyr désigne une victime innocente ou tombée pour une cause juste. Chaque groupe, chaque nation honorent ces personnages emblématiques dont la conduite exemplaire et le sort tragique rappellent la dou- loureuse histoire et la grandeur de la collectivité mais aussi quels furent les bour- reaux des grands hommes que l’on vénère. Au sanctuaire se substitue alors le mémorial, la statue, le monument commémoratif. La sensibilité au martyre dans les traditions religieuses méditerranéennes est à l’arrière-plan des manifestations laïques qui célèbrent les héros locaux ou nationaux tombés pour la juste cause. C’est le cas en Algérie où l’on donne « le chiffre mythique d’un million et demi de martyrs » (Moussaoui, 2006, p. 118) lors de la guerre de libération. Les familles des martyrs bénéficient d’une « rente symbolique » et d’avantages, les enfants de ces familles étant appelés des « ayants droit » ( ibid. , p. 122). Pendant les « années noires » de la guerre civile (décennie 1990‑2000), les islamistes, tout comme les partisans du gouvernement, se référèrent aux martyrs de la guerre de libération pour justifier leurs actions ou célébrer leurs victimes. « Pour toutes les factions, la figure du martyr, héritée de la guerre de libération, est à la fois une référence et un enjeu disputé. » ( Ibid. , p. 135.) Le martyrisme peut ainsi avoir un puissant effet mobilisateur allant jusqu’aux « attentats-suicides ». On attribue souvent à l’islam chiite l’origine de ces opérations qui ensanglantent le Moyen-Orient et d’autres régions du monde depuis les années 1990. La généalogie de ces atten- tats au nom de l’islam est plus complexe. Lors de la guerre Irak-Iran (1980‑1988) des soldats et de jeunes volontaires (bassiji-ye mostaz’afin) sont envoyés sur les champs de mines irakiens pour frayer la voie à l’armée iranienne. L’un d’eux, le jeune Mohammad-Hossein Fahmideh (il est âgé de 13 ans), fait, en 1980, preuve d’un courage extraordinaire : une ceinture de grenades attachée autour de la taille, il se jette sous un char ennemi qu’il fait exploser. L’âyatollâh Khomeyni, guide de la République islamique, en fera un modèle : « Notre guide, déclara-t‑il, est cet enfant de 13 ans, dont la bravoure de cœur est impossible à mettre en mots, qui s’est jeté sous le char ennemi, grenades attachées à la taille, pour devenir ainsi martyr… » 36 167 écoliers se sacrifièrent ainsi pour la « Défense

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