Marranes | Muchnik, Natalia

Marranes 854 ( Nefusot Yehudah , les « dispersés de Juda », à Bayonne), de structures commu- nautaires (directoire, administrateurs…), acquièrent des synagogues non monu- mentales (celle de Creechurch Lane, à Londres, en 1657, jusqu’à la construction de la synagogue de Bevis Marks en 1699‑1701), des cimetières (à Peyrehorade en 1628, à Londres en 1657), voire des bains rituels (à Labastide-Clairence en 1600) et font venir des rabbins : Ishac de Acosta, formé à Amsterdam, devenu chantre et maître d’école à Peyrehorade, puis rabbin à Saint-Esprit-lès-Bayonne de 1697 à sa mort en 1728. Des confréries charitables et éducatives ( herman- dades ou hebrot ) complètent l’organisation. Simples « caisses des aumônes » chez les chuetas , crypto-judaïsants de Majorque, auxquels certains lèguent de petites sommes dans la seconde moitié du xvii e siècle, ces bourses apparaissent comme les vecteurs d’institutionnalisation par excellence, la heb(e)ra constituant sou- vent la première administration de la communauté, à Saint-Esprit-lès-Bayonne par exemple. Imprégnés de culture ibérique comme la plupart des congréga- tions constituées par les exilés, les marranes persistent à utiliser le portugais et l’espagnol, aussi bien dans la vie quotidienne que dans leurs publications. Pour preuve le Poema de la Reina Ester, Lamentaciones del Profeta Jeremías, Historia de Rut y varias poesías , de João Pinto Delgado, imprimé à Rouen en 1627 et dédié à Richelieu. Les foyers marranes européens appartiennent à la Nação, la « nation » judéo- portugaise, une entité singulière, centrée sur les mondes ibériques et l’Europe occidentale. Cette structure diasporique, qui émerge aux xvi e et xvii e siècles et se dissout au cours du xviii e siècle, se distingue culturellement de la diaspora née de l’exil des juifs d’Espagne en 1492 dans le bassin méditerranéen, principa- lement dans l’Empire ottoman (Salonique, Safed…). Bien que critiqués par les juifs de la diaspora car ils demeurent dans les terres où la simulation du catho- licisme est de rigueur au lieu de rejoindre les congrégations officielles, les mar- ranes sont néanmoins des membres de la Nação à part entière, ne serait-ce que par leur martyre au nom du judaïsme. De plus, la Nação, à l’image de la plu- part des diasporas négociantes (trading / trade diasporas) , est fondée sur la disper- sion des familles pour gérer les intérêts du clan à chaque extrémité de la chaîne du négoce. Au sein de cette toile réticulaire qui unit juifs et marranes, ceux-ci jouent un rôle important puisqu’ils se trouvent au cœur du système commer- cial des xvi e et xvii e siècles, la péninsule Ibérique et ses empires et, pour ceux qui résident en France ou aux Pays-Bas méridionaux, en position stratégique pour redistribuer métaux et produits américains. Preuve de la pleine intégration des marranes à la Nação, la Santa Companhia de dotar orfans e donzelas pobres, confrérie créée à Amsterdam en 1615, sur le modèle vénitien (1613), pour doter les orphelines et jeunes filles pauvres de la diaspora judéo-ibérique « résidant de Saint-Jean-de-Luz à Dantzig » – les

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