Marranes | Muchnik, Natalia

Marranes 853 décrit les ablutions et les vêtements « propres ou neufs », la table et trois petites casseroles avec, dans chacune d’elles, cinq bougies qu’on laisse brûler toute la nuit. Les déclarations de communion judaïsante, les repas pris en commun et les jeûnes sont au centre du culte. Les privations de nourriture, qu’elles soient indi- viduelles ou vécues collectivement, frappent par leur rigueur et leur fréquence : marquant les principaux moments du calendrier marrane, elles deviennent égale- ment des moyens d’intercession quotidiens en cas de maladie, de poursuites inqui- sitoriales, au moment des deuils ou simplement pour attirer la bonne fortune. Conséquence également, le rôle capital donné aux femmes devenues le ciment de la communauté : agents de conservation de la tradition crypto-judaïsante et de ses rituels, elles assument les fonctions de prédicateur domestique et accom- plissent l’essentiel des rites de pureté qui encadrent le crypto-judaïsme, qu’il s’agisse de l’alimentation, du corps ou des objets. Certaines, souvent des veuves démunies, se sont vu assigner des attributions tant réelles que symboliques, celles de jeûneuses professionnelles, payées pour s’abstenir de nourriture au nom d’un tiers. Leur charge est fortement institutionnalisée : chaque jeûne a un prix fixe et entraîne un code de langage spécifique pour le désigner. Initialement concentrés dans la péninsule Ibérique, les marranes sont pous- sés à l’exil par l’activité répressive des inquisitions et la rigueur des statuts de limpieza de sangre (« pureté de sang ») qui, à partir des années 1550, excluent les nouveaux-chrétiens (judéoconvers et morisques) des principales institutions civiles et religieuses (ordres militaires, corporations, collèges universitaires…). Dès le milieu du xvi e siècle, des foyers crypto-judaïsants émergent ainsi dans le Sud-Ouest de la France (Saint-Jean-de-Luz, Bordeaux, Bayonne, Labastide-­ Clairence…), dans les Pays-Bas méridionaux (à Anvers surtout) et, au siècle sui- vant, dans le reste de la France (Nantes, Rouen…) et en Angleterre (à Londres en particulier). Qu’ils viennent directement du Portugal ou qu’ils aient vécu en terre hispanique, on les désigne alors comme « Portugais », « marchands portu- gais » ou « hommes de la nation (portugaise, hébraïque…) ». Ils se rassemblent dans les ports et les villes où, grâce à leurs réseaux familiaux et à leur expérience commerciale, ils jouent un rôle majeur dans le négoce international et dans la finance. Leur présence et leur hétérogénéité religieuse suscitent parfois des conflits internes qui s’amplifient et font intervenir les instances municipales et royales, civiles et ecclésiastiques. C’est le cas à Rouen, en 1633, où la commu- nauté judéo-ibérique se disloque par l’intervention d’un espion du Saint-Office espagnol, qui aboutit au rapatriement en Espagne de 66 judéoconvers catho- liques de France et à quantité de dénonciations. Peu à peu, certains groupes s’institutionnalisent, en France et en Angleterre notamment, tout en restant officiellement chrétiens pour les sociétés d’accueil, jusqu’au xviii e siècle du moins. Ils se dotent d’un nom à consonance hébraïque

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