Marranes | Muchnik, Natalia

Marranes 852 disséminés dans les principaux ports pour servir de correspondants à la firme fami- liale, fils envoyés en formation auprès d’un parent…C’est le cas, dans la première moitié du xvii e siècle, des six enfants de Gracia Gomez et Juan Garcia, apothi- caire, vivant à Ciudad Rodrigo : Catalina Garcia Gomez s’installe à Madrid puis à Bayonne ; Cristobal Gomez Garcia, qui a vécu à Valence et à Madrid – comme son frère Felipe Gomez qui s’y fixe –, rejoint finalement Livourne avec son autre frère, Sebastian Garcia ; quant à Pedro Garcia Gutierrez, il quitte Ciudad Rodrigo pour El Arahal (Séville) puis la région de Cadix ; enfin Diego Gomez Gutierrez, le benjamin, fait des allées et venues entre Ciudad Rodrigo, Séville, Antequera et Madrid. Cette dislocation accroît d’autant plus la circulation des biens : pour preuve les procurations établies par les marranes de France en faveur de leurs proches à Amsterdam et les testaments, tel celui que signe en juin 1661 l’Amstellodamois Moseh Mendes Sereno en faveur de son frère Francisco et de son père Hector, tous deux résidents de Bordeaux. La diffusion des idées n’est pas en reste, comme l’illustre dans les années 1660 l’épisode messianique de Shabbataï Zvi, qui a suscité d’amples débats dans l’ensemble de la diaspora. Les crypto-judaïsants de la péninsule Ibérique et de France en étaient informés grâce à leurs proches de Constantinople, Livourne ou Amsterdam. Témoin de la mobilité spatiale, de la diversité sociale et de la somme d’iden- tités auxquelles recourent les marranes, l’utilisation conjointe par un même individu de plusieurs patronymes, quelques alias , voire un ou deux sobriquets, sans règles apparentes de formation et de transmission, est exemplaire. Ainsi, lors de l’autodafé célébré à Madrid le 13 décembre 1676, sont condamnés pour judaïsme deux négociants domiciliés à Saint-Esprit-lès-Bayonne mais vivant à Madrid : Francisco Fernandez Marto alias Isaac Yeserum Fernandez, originaire de la région de Séville, et son beau-père, Jorge de Medina Cardoso, alias Jorge Rodriguez Cardoso alias Isaac Cardoso, né à Setúbal, au Portugal. La vie rituelle repose sur la culture orale, même si des ouvrages à vocation cultuelle rédigés en portugais et en espagnol (voire en ladino) et publiés dans la diaspora, à Ferrare, Amsterdam et Venise notamment, parviennent dans les empires ibériques, en France et dans les Pays-Bas méridionaux. La clandestinité, qui engendre codes, rites d’initiation et pratiques de simulation et de dissimula- tion, apparaît bien comme la matrice du marranisme, une position attestée par la valorisation de l’intériorité, de la foi aux dépens des rites. Face à la charge néga- tive portée par l’espace public, c’est le foyer qui est valorisé, puisqu’il est à la fois le lieu exclusif de la manifestation de l’être et de celle du sacré. Des dispositifs, souvent adaptés et enrichis par chaque famille, permettent de circonscrire l’es- pace rituel : lorsqu’en février 1619 Ana Mendez explique au Saint-Office la scé- nographie mise en place par sa famille à Monsanto, au Portugal, puis à Jativa, dans la région de Valence, pour célébrer le « grand jour » (yom kippour), elle

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