Marranes | Muchnik, Natalia

Marranes 850 Marranes Les grandes expulsions, entre le xii e et la fin du xv e siècle, ont chassé les juifs d’Europe occidentale, à l’exception de quelques enclaves dans le Saint-Empire, les terres pontificales (Comtat Venaissin, Avignon, Rome, Ancône…) et les cités- États italiennes notamment. Seuls demeurent des nouveaux-chrétiens d’origine juive, les judéoconvers, dont certains sont qualifiés de « marranes » par les his- toriens. Le terme, synonyme de « crypto-judaïsant », désigne un chrétien obser- vant en secret le judaïsme. En dépit de son origine sans doute injurieuse (le mot « porc » est l’une de ses étymologies possibles), le vocable, utilisé à des fins tech- niques, a aujourd’hui perdu sa connotation offensante. Toute la difficulté réside dans la mesure de ces pratiques, l’essentiel de la documentation dont on dispose étant issue de l’institution répressive, le Saint-Office, qui agit principalement dans la péninsule et les empires ibériques ainsi que dans les terres italiennes. C’est pourquoi l’historiographie a longtemps été divisée sur la réalité du marranisme et la véracité des sources inquisitoriales en la matière. Les uns prônent l’existence d’un crypto-judaïsme à part entière et revendiquent l’identité juive des accusés (Ytzak Baer, Haim Beinart, Israël S. Révah, Cecil Roth) tandis que d’autres pri- vilégient les facteurs politiques et l’aspect économique de l’activité inquisitoriale : ils voient dans la religion marrane un « mythe » forgé et entretenu par le Saint-­ Office (Antonio J. Saraiva, Benzion Netanyahu, Herman P. Salomon). Le débat semble aujourd’hui réglé, au profit d’une position médiane : tous les accusés ne sont pas des judaïsants zélés et le marranisme recouvre en fait un large spectre de croyances et de pratiques, les familles se scindant souvent entre judéoconvers judaïsants (marranes) et judéoconvers catholiques. À la différence des communautés juives officielles fondées ex nihilo par d’an- ciens marranes aux Provinces-Unies (Amsterdam, La Haye…), dans le Saint- Empire (Hambourg…) et dans les villes italiennes (Pise, Livourne…), ou des congrégations juives plus anciennes (Rome, Venise, Salonique…), les groupes crypto-judaïsants sont par définition clandestins. Les risques de décomposition, liés à leur mobilité spatiale et à la labilité de leur vie cultuelle, les ont amenés

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