Mamelouks | Denoix, Sylvie

Mamelouks 831 fondations utiles à la société d’accueil. Pour cela, ils se servent d’une institution typiquement musulmane qui leur préexiste : le waqf . Le principe est qu’un géné- reux donateur attribue à tout jamais le revenu de propriétés lui appartenant en propre (boutiques, terrains, caravansérails, immeubles locatifs…) au profit d’éta- blissements, souvent fondés à l’occasion, soit dévolus à la prière, soit d’utilité publique (mosquées, madrasas, hôpitaux, orphelinats, fontaines publiques…) ; désormais les revenus de la propriété du donateur, concédés à l’entretien de la fon- dation pieuse, sont inaliénables, un acte dressé devant le cadi le garantit. Ainsi, des ensembles urbains entiers sont fondés dans les grandes villes du domaine mame- louk (Le Caire, Damas, Alep…) par les Mamelouks, émirs et sultans principa- lement, qui construisent dans le même temps tous les équipements nécessaires à la vie urbaine. Ils font ces fondations au profit des démunis, des malades ou des simples croyants. Ces opérations d’évergétisme leur donnent un statut de mécènes qui promeuvent leurs opérations dans un cadre musulman, mais encore les ancrent dans les espaces urbains où ils construisent leurs waqf -s, qui sont des complexes où souvent leur sépulture est prévue, et qui portent leur nom, marquant ainsi le territoire de leur personne, pour des siècles. Certaines de ces grandes opérations urbaines existent encore, comme au Caire les waqf -s des sultans al-Qalâwûn, al-Nâsir, son fils, et de leur rival Barqûq, et bien d’autres (Denoix, Depaule et Tuchscherer, 1999). Ainsi, par les waqf -s, institutions inaliénables qui portent leurs noms, ils marquent les villes de leur présence, à tout jamais. Toujours dans une perspective de légitimation, le sultan Baybars accueille en 1260 un membre de la famille du calife abbasside décimée lors de la prise de Bagdad et lui donne le titre de calife. Cela permet d’élaborer un rituel d’investi- ture : le calife intronise Baybars, puis ses successeurs, comme sultan(s). Cet ava- tar de la dynastie abbasside est installé au Caire, sans aucun pouvoir politique ; il est assigné à résidence dans l’une des tours de la citadelle. Une autre innovation institutionnelle est la réforme de la judicature : en 1265, Baybars décide que les quatre écoles juridiques (madhhab-s ) de l’islam sunnite (chafiisme, malékisme, hanbalisme et hanéfisme) seront désormais présentes en Égypte. L’architecture des mosquées-madrasas change alors : au lieu des allées à portiques entourant la cour du monument, quatre espaces ouverts sur la cour par un grand arc (îwân) offrent chacun un lieu pour l’enseignement du madhhab qui lui est dévolu. Cela dit, on continue à construire des mosquées à portique où l’on enseigne éventuellement. Tout cela : la défense armée du Dâr al-Islâm, les importantes fondations pieuses ou utiles aux membres de la communauté, la conduite du pèlerinage, l’in- vestiture du calife abbasside, l’accueil des quatre madhhab -s, fait des Mamelouks des champions de l’islam sunnite et leur donne une légitimité à gouverner cette société musulmane.

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