Mamelouks | Denoix, Sylvie

Mamelouks 830 quelques semaines (sarha) . De là on peut partir à la chasse et revenir pour des fêtes entre aristocrates, loin du peuple. C’est un moment privilégié pour le groupe des mamelouks. Un fort besoin de légitimation Les mamelouks ont donc la conviction qu’ils sont une aristocratie qui doit éla- borer des pratiques de distinction, mais, dans le même temps, les membres du groupe ressentent aussi une nécessité d’insertion sociale, d’ancrage dans le territoire, un besoin de légitimation. Le paradoxe des mamelouks est que ces hommes, arrivés au pouvoir souvent par le meurtre politique, gouvernent des monothéistes pour qui faire couler le sang humain est une faute majeure ; ces illet- trés ayant appris l’arabe tardivement dominent une société dotée d’élites savantes arabophones ; et, surtout, ces anciens païens convertis récemment sont les chefs politiques d’un système musulman. Tout ceci constitue autant de handicaps sym- boliques que les Mamelouks vont compenser en se faisant les champions de l’islam sunnite. Leur premier fait de gloire est d’avoir sauvé la région du péril des croisés : à cette époque, les chrétiens d’Occident tentent de ramener les Lieux saints à la Chrétienté par les croisades, qui eurent lieu à partir des derniers Fatimides (en Égypte : 969‑1174), tout le long du règne des Ayyoubides (1174‑1250). Et ce sont les Mamelouks qui mirent un terme à ce mouvement de conquête (chute du dernier État franc en 1291). L’autre danger, pour le monde musulman de l’époque, ce sont les terribles Mongols. Gengis Khan a rasé Bagdad en 1258 ; ils ont conquis, avec des atrocités qui terrifient les populations, toutes les terres orien- tales depuis la Chine, et sont en Syrie en 1259. Les Mamelouks les repoussent à ‘Ayn Jalût, au nord de la Syrie, en 1260, une décennie après la victoire contre les croisés de Louis IX. Si ces esclaves-militaires n’avaient pas repoussé l’armée de Gengis Khan, le monde musulman serait alors passé sous la domination des Mongols qui, à cette époque, ne s’étaient pas encore convertis à l’islam. Les oulé- mas sont, avec raison, convaincus que, sans ces cavaliers d’élite, l’islam aurait pu disparaître. La menace mongole perdure puisqu’en 1400, conduits par Tamerlan, ils prennent Alep puis Damas, toujours avec une cruauté qui impressionne les contemporains, jusqu’aux chroniqueurs qui en font état de manière circonstan- ciée. Si, sous le sultanat de Farag ben Barqûq (mort en 1422), les Mamelouks n’avaient pas, encore une fois, repoussé les Mongols, Le Caire aurait probable- ment été détruit, et les envahisseurs auraient continué leur avancée vers l’ouest. La défense armée du Dâr al-Islâm que les Mamelouks assurèrent est leur pre- mière légitimation à gouverner une société musulmane, ce qui les fait accepter par les oulémas autochtones. Localement, dans les villes dans lesquelles ils sont en poste, et principalement dans la capitale de leur empire, Le Caire, ils arrivent à s’enraciner en édifiant des

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