Maïmonide | Robberechts, Édouard

Maïmonide 824 qu’elle le vise. Cette infinition de la visée de la pensée est le contenu de l’idée de Dieu. Il est cet infini logé au cœur de la pensée qui l’excède pourtant. Il est ce qui porte et excède la pensée comme un appel qui n’en finirait pas de retentir en elle et de la lancer en avant vers sa propre action : c’est cette action enraci- née dans l’amour et dans la crainte de Dieu qui constitue la providence indi- viduelle dans l’histoire. Une telle éthique est tout à fait distincte de la moralité fonctionnelle antérieure à la connaissance. S’enracinant dans la connaissance de Dieu, elle accomplit la perfection suprême de l’homme. La contemplation intellectuelle est devenue à son insu la source de toute action digne de ce nom. Maïmonide parvient ainsi à synthétiser les deux chaînes de traditions dans lesquelles il s’inscrit : celle qui est proprement juive, qu’elle soit biblique, midra- chique ou talmudique, et la judéo-arabe avec en son centre le legs philosophique gréco-musulman. Dans celle-ci, ses principaux maîtres sont al-Fârâbî (872‑950), Avicenne (980‑1037), Ibn Bâjja (vers 1085‑1138), Ibn Tufayl (1105‑1185). Maïmonide, selon son propre aveu, n’a eu connaissance des écrits d’Averroès (1126‑1198) qu’une fois son Guide déjà rédigé. Cette imprégnation dans la philosophie musulmane est telle que l’œuvre de Maïmonide fera l’objet d’un commentaire par un philosophe musulman (al-Tabrîzî [1185‑1248]), ce qui est exceptionnel, puisque les influences ne se faisaient en général à ce niveau qu’à sens unique. Mais malgré cette imprégnation, c’est l’élément grec qui reste central et déterminant dans sa philosophie. Et c’est lui qui va permettre à Maïmonide d’exercer une influence importante sur les philosophies aussi bien juives qu’oc- cidentales. La barrière de la langue fut assez rapidement surmontée, d’abord par deux traductions hébraïques du Guide (Samuel Ibn Tibbon et Juda al-Harisi), puis par une traduction latine dans la première moitié du xiii e siècle. Maïmonide exerça une influence déterminante sur tous les philosophes juifs ultérieurs, comme Joseph Ibn Caspi (1279‑1340) de Largentières, Isaac Albalag, Gersonide (1288‑1344), Moïse de Narbonne (1300‑1362), Joseph Falaquera (1225-vers 1295), Hasdaï Crescas (1340‑1411), Joseph Albo (1380‑1445), Isaac Abravanel (1437‑1508)… Les échos ne furent pas seulement positifs : sa philo­ sophie suscita un débat houleux dans la communauté juive. La controverse fut telle qu’elle déclencha même l’intervention de l’Église et déboucha sur un autodafé des livres de Maïmonide à Montpellier au début du xiii e siècle. Une autre réac- tion, plus fondamentale, fut celle de Rabbi Abraham ben David de Posquières : il commenta dès sa parution le Michneh Torah pour remettre en question son caractère monolithique, le rattacher à ses sources et ainsi le replacer au cœur du débat talmudique. Or ce fut lui aussi qui fut un des premiers écrivains connus à mettre par écrit certains enseignements kabbalistiques. Son fils, Isaac l’Aveugle, commencera systématiquement à écrire cette tradition. Ses élèves la feront passer à Gérone, puis à Barcelone, et enfin en Castille où elle donnera lieu à l’écriture

RkJQdWJsaXNoZXIy NDM3MTc=