Maïmonide | Robberechts, Édouard

Maïmonide 822 La connaissance du fini contingent a besoin de l’Infini nécessaire pour asseoir son jugement dans la vérité. Cette purification de l’idée de Dieu de tous ses éléments sensibles constitue à première vue une avancée pour le monothéisme. Mais elle peut aussi le remettre en cause. Car la finalité de la vie humaine devient désormais la contemplation intellectuelle des vérités suprêmes, avec Dieu en point de mire. Une religio- sité de la connaissance est ainsi substituée à la religiosité éthique de la Bible. La valeur de la morale ne réside plus que dans son utilité sociale : elle sert à éman- ciper l’homme de la domination des sens et des passions et à mettre en ordre sa vie sociale. Elle constitue une condition indispensable à sa perfection spirituelle, mais reste secondaire par rapport à elle. La vie en ce monde n’a plus dès lors qu’une valeur relative, l’idéal suprême résidant comme chez Bahya ibn Paquda dans la concentration de l’esprit sur Dieu. Or nous avons dit que cette fondation de la connaissance signifie aussi sa « transformation ». Qui ne voit en effet que cette extinction de la connaissance aux abords de Dieu, qui est son couronnement comme contemplation, signifie aussi un retournement ? En poussant la connaissance à ses limites, l’homme lie son esprit à celui de Dieu et se trouve ainsi guidé par lui de manière personnelle, par-delà l’ordre naturel général. Il s’élève ainsi à une providence individuelle qui lui permet de changer le cours de sa vie en agissant sur le monde grâce à cet influx positif, intellectuel. Du même coup, l’action humaine devient l’instrument par lequel la connaissance de Dieu devient effective et se réalise… Si, dans un pre- mier temps, le mouvement philosophique semble remettre en question la reli- gion en soumettant son contenu moral à la visée intellectuelle et contemplative du philosophe, dans un second temps, c’est la religion qui remet en question la philosophie, en l’enracinant dans une expérience éthique qui inverse son sens. C’est la voie descendante. Ce retournement prend place dans la doctrine des attributs négatifs. Comme Dieu est à la fois le fondement et la limite de notre intelligence, nous ne pou- vons le viser qu’à travers la négation des privations : dire que Dieu existe, c’est nier sa non-existence ; et dire qu’il est un, c’est exclure toute multiplicité en lui. Cette « connaissance négative » a bien un effet positif, puisqu’en écartant les déterminations inappropriées elle nous permet de viser l’absolue différence du divin face à tout existant mondain : nous ne pouvons attribuer l’unité à Dieu en un sens positif, parce qu’il est Un au-delà de ce que ce mot peut signifier pour nous ; nous devons dénier à Dieu la non-existence, parce que l’essence de Dieu contient sous une forme supérieure ce que nous appelons l’être ; dénier à Dieu toute faiblesse ou toute ignorance exprime le fait que Dieu possède le pouvoir, la volonté et la connaissance à un degré que ces mots échouent à expri- mer. L’emploi par Maïmonide des attributs négatifs est donc différent de celui

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