Madrague | Buti, Gilbert; Faget, Daniel

Madrague 815 captures, cette technique nécessite une flottille, un personnel – surtout féminin – pour ramender les filets, préparer et vendre le poisson, sans oublier les muletiers et les petits caboteurs chargés de distribuer celui-ci, ainsi que des artisans pour fabriquer les filets (sparterie). Hormis les dons et offrandes, une partie des pro- duits des madragues – sans pouvoir la mesurer – est destinée à la consomma- tion locale ; en certaines bourgades italiennes, il est même obligatoire de vendre sur place une quantité de thon avec des prix contrôlés par le conseil de ville. Le poisson, vendu frais par différentes poissonnières apparentées aux pêcheurs, se prête également à des préparations qui assurent une plus longue conservation et une distribution plus commode. De manière plus ou moins prononcée selon les rivages, le xix e siècle voit le déclin et la disparition de cette technique de pêche méditerranéenne. En France, la suppression des madragues s’inscrit dans un vaste mouvement qui atteint, dans la première moitié du xix e siècle, toutes les pêcheries fixes immer- gées. Cette suppression est l’aboutissement de longs conflits qui opposent, depuis le xvii e siècle, les fermiers des madragues aux pêcheurs avec l’arbitrage de l’État. Le mécontentement des pêcheurs se décline sur plusieurs registres. Pour eux, les madragues constituent une intrusion inadmissible dans leur domaine de tra- vail ; elles occupent les meilleurs emplacements de pêche et obligent les gens du métier à s’éloigner des rivages et par là à s’exposer à de nombreux risques. Qui plus est, les pêcheries concurrencent de façon déloyale les autres pêches car, si elles piègent les thons, elles retiennent d’autres poissons (maquereaux, dorades, bars), d’autant plus que les mailles des filets sont très serrées et la durée de la calaison non respectée. Enfin, les pierres, utilisées pour tendre verticale- ment les parois, demeurent au fond de la mer une fois la madrague retirée et forment autant d’obstacles à l’art traînant des pêcheurs. Les patrons et capi- taines de barques apportent parfois leur soutien aux pêcheurs en accusant les enclos de filets d’entraver la bonne circulation des bâtiments et d’occasionner des avaries, voire des naufrages. Les fermiers des madragues récusent ces attaques. Pour eux, les pêcheries per- mettent la capture de prédateurs (marsouins, requins, dauphins…), participent à la surveillance des rivages, guident les navires en difficulté, protègent les petites espèces venues se réfugier dans le « parc sous-marin », assurent la formation de mousses et emploient des invalides de la marine, alors que les pêcheurs ne res- pectent pas la distance des 2 milles, prévue par la législation, en venant placer leurs filets près des madragues. Si, au cours des deux derniers siècles de l’Ancien Régime, toutes ces querelles se terminent à l’avantage des exploitants des pêcheries soutenus par le pouvoir central, à partir de la seconde moitié du xix e siècle, l’État remet en cause les concessions et privilèges octroyés. En utilisant ces conflits et en prenant appui

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