Lépante, bataille de | Le Thiec, Guy

Lépante, bataille de 785 heures qui suivirent (des épaves furent ainsi brûlées à Corfou) : 117 galères, 13 galiotes, et d’innombrables canons (117 lourds, 256 légers et 17 pierriers). La vision « géostratégique » turque en fut-elle modifiée et les rêves d’une Méditerranée transformée en « lac ottoman » en furent-ils pour autant évanouis ? Dans l’immédiat, le projet de conquérir la Crète après Chypre, qui avait dû être avancé dès le printemps 1569, fut abandonné (durant près d’un siècle, jusqu’à la guerre de Candie). Loin des grands desseins, Lépante, pour l’Empire, fut d’abord synonyme de panique, à Istanbul, où, à la nouvelle de la défaite, une partie de la population prit peur, comme dans les Balkans, où l’on craignit, sur les côtes adriatiques et égéennes, la multiplication de raids de la Sainte-Ligue, voire une attaque à grande échelle. Mais seules des expéditions sporadiques eurent lieu, la fin de la saison navale empêchant d’envisager toute campagne d’envergure et ce, en dépit de l’affaiblissement ottoman du moment. Ces mêmes lendemains de défaite poussèrent, au retour des troupes battues, certaines populations chré- tiennes assujetties à la révolte devant la perspective d’une nouvelle taxation en vue de la reconstruction navale. Qu’advint-il dès lors de l’incontestable suprématie maritime ottomane en Méditerranée ? L’état de ses forces navales est sans doute la conséquence la plus directe et paradoxale : au printemps 1572, la stupeur des espions occidentaux à la sortie des Dardanelles d’une flotte turque de près de 250 navires pour une nouvelle campagne contre la Sainte-Ligue, s’explique par la brièveté d’une reconstruction (six mois) et, par conséquent, la ressource des divers arsenaux (Galata, Izmit…). Politiquement, un tel réarmement fut rendu possible par la volonté d’au moins deux hommes d’État : le grand vizir Sokollu Mehmed Pacha, ancien grand amiral de la flotte en Méditerranée, et le kapudan Uludj Ali, nommé le 29 octobre 1571. Que fit l’Empire d’une telle flotte ? S’il n’y eut plus d’affrontement naval comparable, l’Italien Sinan Pacha conduisit toutefois en 1574 l’expédition de près de 300 navires qui rendit Tunis ottomane, le contrôle du Maghreb étant au cœur des stratégies impériales. La trêve entre les deux empires maritimes (l’ottoman et l’espagnol) fut signée dès 1580, grâce au changement de personnel politique ottoman : un nou- veau sultan, Murâd III, et de nouveaux vizirs (tel Lala Mustafa). L’Espagne était du même coup libérée de la menace d’un front méridional au temps de sa guerre aux Pays-Bas. Une nouvelle frontière, imaginaire, courait de la Calabre au cap Bon. On sait comment, du côté des forces chrétiennes, s’évanouit la Ligue : la défection de Venise par sa – nouvelle – paix séparée (1573) lui porta un coup fatal, à la suite de la disparition de son animateur, le pape Pie V (mort en 1572), et du désinté- rêt forcé d’une Espagne aux prises avec ses Pays-Bas révoltés. Du point de vue des deux empires, l’espagnol et l’ottoman, les lendemains de Lépante soulignaient une faiblesse commune : leur vulnérabilité à la guérilla maritime, qu’elle fût celle des chevaliers de Saint-Étienne ou de Malte dans le second cas, anglaise et océanique

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