Juifs | Trevisan Semi, Emanuela

Juifs 767 dizaines de milliers de personnes, l’impact socioculturel et symbolique d’une part et économique de l’autre que représenta cette émigration ne fut pas négligeable. En effet, comme dans toutes les migrations, ceux qui émigrèrent ne furent pas seulement des individus et des familles mais des réseaux entiers qui, dans ce cas précis, maintinrent des liens avec une partie de la famille convertie demeurée en Espagne ou au Portugal. Ce furent surtout les territoires des Balkans qui enre- gistrèrent une augmentation significative de la population juive, essentiellement séfarade, à laquelle s’assimilèrent les populations juives ashkénazes et italiennes. Ainsi Salonique devint la ville juive la plus importante de l’Empire ottoman. Au xvi e siècle, des courants migratoires plus importants que par le passé se diri- gèrent vers la Palestine : ils étaient essentiellement constitués de Séfarades et de conversos , et, dans une moindre mesure, d’Ashkénazes (juifs des territoires alle- mands). Ce fut en revanche à partir de la fin du xviii e siècle que s’intensifièrent les arrivées de juifs en provenance de Pologne et de Lituanie, qui se dirigeaient surtout vers Safed et Jérusalem, à la suite du succès du mouvement hassidique en Europe orientale et de la ferveur mystique qui l’accompagnait. Les interactions entre Séfarades et Ashkénazes, entre juifs et non-juifs, la circulation d’idées dans les régions du Sud marquèrent profondément l’his- toire de la Méditerranée. Les villes de la Méditerranée qui avaient une présence juive, avec leurs quartiers habités par les juifs ( giudecca , ghetto, mellah , hara ), ont développé des formes particulières de stratégie de l’espace. Dans les grands ports de la Méditerranée, devenus des centres commerciaux et intellectuels importants, c’étaient surtout les descendants des juifs expulsés d’Espagne et du Portugal qui dominaient la scène. Rappelons, parmi les figures les plus écla- tantes, doña Gracia Mendez, une Portugaise convertie très riche qui s’installa à Istanbul en 1553 et réussit à obtenir l’appui de Soliman le Magnifique afin de faire intervenir le pape en faveur des marranes condamnés à mort à Ancône ; ou bien Joseph ha-Nasi, son neveu, bailleur de fonds de Soliman le Magnifique et de son successeur Selîm II. À partir de 1591 et 1593, avec la promulgation des lois livournaises (Leggi Livornine) – les normes sur la base desquelles le grand-duc de Toscane, dans le but d’accroître les potentialités économiques de son grand-duché, décida d’ac- corder sa protection aux Séfarades –, Livourne devint la ville centrale des réseaux d’échanges créés par les juifs dans tout le bassin méditerranéen. Les juifs livour- nais, connus aussi sous le nom de grana , établirent des avant-postes commer­ ciaux dans de nombreuses villes de la Méditerranée, de Tunis à Alep, en arrivant à contrôler le commerce entre les Balkans, le Proche-Orient et l’Italie. Ils se dédièrent au commerce sur la longue distance en développant leurs propres ramifications jusqu’à Goa, Amsterdam, Lisbonne, Hambourg et Londres. En réalité, comme l’a bien montré Francesca Trivellato, les commerçants juifs,

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